4 septembre 2015

L’art de s’entendre

Ah, la communication... Des fois on a réellement envie de puncher un interlocuteur  bouché, arrogant, injuste, crétin, méchant, ou qui ment effrontément. Une pulsion normale et légitime à mon avis. Par exemple, si je devais interviewer Donald Trump, j’aurais probablement envie de lui crêper le chignon – ou le toupet – à la moindre remarque grossière de sa part.

Comme la vie en société requiert un minimum de retenue, la plupart du temps on ne dit rien pour ne pas faire de vagues. On compacte. Peut-être par crainte de perdre quelque chose – un(e) partenaire, l’estime des autres, un emploi, de l’argent, des contrats, etc. Si le sentiment d’impuissance est intense et récurrent, notre santé psychologique pourrait en pâtir.

Stoïque ce chat!

Conversation : Foire où chacun propose ses petits articles mentaux, chaque exposant étant trop préoccupé par l'arrangement de ses propres marchandises pour s'intéresser à celles de ses voisins. ~ Ambrose Bierce (1842-1914); Le dictionnaire du Diable

Il existe cependant des moyens de communiquer ses sentiments et ses opinions sans blesser personne ni se sentir lésé, mais cela exige un minimum de bonne volonté et de pratique.

Cinq règles de base pour s'entendre avec n’importe qui, n’importe où
Susan Krauss, Ph.D., professeur de psychologie à l’université de Massachusetts Amherst

Il y a des situations dans la vie où nous aimerions fustiger quelqu'un qui nous rend la vie misérable. Vous êtes peut-être mécontent d’une situation liée au travail, ou votre partenaire est peut-être mesquin. Vous vous sentez attaqué, indigné et incompris. Le pire, c’est quand vous avez l’impression d’avoir frappé un mur parce que vous n'êtes ni écouté ni pris au sérieux.

Tout le monde connaît ce type d’échanges désagréables. La psychologue italienne Francesca D'Errico et la philosophe Isabella Poggi utilisent le terme «communication acide» pour décrire ce qui se passe quand les gens se sentent irrités et maltraités mais n’expriment pas ce qu’ils ressentent vraiment. «La personne qui se livre à la communication acide est en colère parce qu’elle éprouve un sentiment d'injustice. Elle voudrait exprimer sa colère et dénoncer l’injustice, mais y renonce pour éviter de possibles conséquences négatives si elle s’exprime» (p. 663). On peut appeler ça de l’agressivité passive; vous voulez dire quelque chose de négatif mais vous avez l’impression que vous ne pouvez pas (quelle que soit la raison), alors vous évacuez votre colère de manière indirecte.

Selon D’Errico et Poggi, le «communicateur acide» utilise l'ironie, le sarcasme, l’insinuation et la critique indirecte avec des mots et un ton de voix qui «projettent l'image d'une personne brillante et intelligente» (p. 664). Il peut aussi utiliser le langage corporel pour atteindre les mêmes buts : gestes, expressions faciales, mouvements de la tête et du corps. Nous avons tous agi ainsi à un moment ou un autre. Vous vous sentez attaqué et vous ne voulez pas parler, alors vous pincez les lèvres ou croisez les bras, et peut-être levez-vous les yeux au ciel.

Lors d’une recherche, D'Errico et Poggi ont remis un questionnaire à 80 jeunes adultes italiens. Elles ont noté chez les communicateurs acides des émotions «proactives» – jalousie, envie, désir de vengeance, haine et mépris – et des émotions «passives» – sentiment d'impuissance, amertume et ressentiment. Les participants ont déclaré qu'ils basculaient dans la communication acide quand ils trouvaient que la personne impliquée dans l’interaction se comportait de la même manière, c’est-à-dire qu’elle était envieuse, cherchait à les culpabiliser ou se sentait elle-même incomprise. Les participants disaient qu’ils se sentaient nerveux, en colère et craignaient d’exprimer leurs réels sentiments ou une vraie réponse.

De son côté, le communicateur acide n’est pas très bien accueilli par les autres. Les participants utilisaient des adjectifs comme irritables, grognons, arrogants, rébarbatifs, grossiers, pas serviables et hargneux pour décrire ces individus.

En résumé, la communication acide ne mène nulle part. Pire encore, elle peut affecter votre estime de soi. Les conséquences de la communication acide incluent le sentiment de culpabilité parallèlement à une foule d'autres émotions négatives concernant votre propre rôle dans l'interaction.

La meilleure façon d'éviter le piège est de vous exprimer directement, de rester ouvert et réceptif. Ironiquement, vous craindrez peut-être qu’on vous trouve trop critique ou raisonneur. Pour sortir de l’impasse, nous devons trouver un moyen d’initier des dialogues fructueux. Taleb Khairallah, Roger Worthington et Ali Mattu, des étudiants diplômés de l'American Psychological Association (APAGS), ont récemment publié des règles élémentaires de comportement pour les «dialogues difficiles». Avec leur permission, j'ai adapté cinq de ces règles.


1. Ne dominez pas le dialogue : le «dialogue» n'est pas un monologue. Si vous êtes en train de converser avec quelqu'un, laissez suffisamment d’espace pour donner et recevoir.

- Soyez patient et donnez aux autres une chance de s'exprimer : certaines personnes sont plus lentes à se joindre à une conversation. Que vous soyez avec une personne ou avec 50, insérez une pause entre vos phrases pour permettre aux autres de rassembler leurs idées et de les formuler.

- N’interrompez pas : voilà le moyen le plus sûr de contrarier vos interlocuteurs. Même si certaines personnes font des pauses embarrassantes dans leurs discours, et prennent trop de temps, vous devez toujours trouver un moyen de permettre à la conversation de se poursuivre. Évitez les discours : tout comme vous ne devez pas interrompre, vous ne devez pas empêcher les gens de commenter ce que vous dites. Pensez à une conversation comme à un journal écrit; si vos commentaires occupent une page complète, alors vous devez ajouter un espace entre les paragraphes.

- Formulez vos commentaires de façon à permettre l'interaction : posez occasionnellement des questions («qu'en pensez-vous?» «est-ce logique?») et parlez au «je». Ainsi vos interlocuteurs se sentiront invités à prendre la parole, et conséquemment moins portés à se fâcher.

2. Respectez les opinions : montrez que tous les points de vue sont importants.

- Écoutez respectueusement et ayez l’esprit ouvert : montrez que vous appréciez ce que les autres ont à dire au lieu de froncer les sourcils ou de vous impatienter si quelqu'un est en désaccord avec vous. Un visage ouvert signifie esprit ouvert.

- Reconnaissez la validité du désaccord : personne n’est obligé d’être d’accord avec votre opinion, et en acceptant les divergences de vues, vous permettez à votre interlocuteur de s'exprimer.

- Valorisez tous les points de vue : dites explicitement que vous valorisez les perspectives différentes et agissez en conséquence; ainsi les risques de paraître «acide» diminueront.

3. Chacun est encouragé à participer : cela vous inclut.

- Ne vous empêchez pas d’exprimer vos pensées et vos opinions : vous voulez encourager les autres à exprimer leur point de vue, mais n’ayez pas l’impression que devez vous restreindre. Si vous réprimez vos opinions, tôt ou tard elles fuiront de façon improductive.

- C’est correct de changer de sujet : vous pouvez trouver qu'un sujet important a été négligé au beau milieu d'un débat ou d’un dialogue. Expliquez clairement pourquoi vous voulez ramener le sujet. Ainsi, les autres n’auront pas l’impression que vous tenez le dialogue à votre merci.

4. Les modérateurs sont des animateurs, pas des participants

- Facilitez l’interaction au lieu de dominer la scène : si vous êtes choisi pour animer un groupe de discussion, ne profitez pas de la situation en gérant tout le spectacle. Soyez attentif au déroulement des sujets chez les participants et choisissez les interlocuteurs de manière équitable et selon ce qui a été convenu.

- Utilisez votre expertise si on vous le demande : vous menez peut-être un groupe pour veiller à ce que l’échange se déroule harmonieusement. Si quelqu'un vous demande votre avis ou votre aide, faites-le en évitant que les participants se sentent ignorants.

5. Parfois nos meilleures idées émergent après une réflexion : la réflexion ferme psychologiquement le dialogue. Après une conversation ou un dialogue prenez le temps de réfléchir et de répondre à ces questions :
- Votre perception de la situation a-t-elle changé?
- Votre perception de l’opinion des autres a-t-elle changé?

Le dialogue diffère un peu de la conversation. Le vrai dialogue permet aux gens de se sentir valorisés, écoutés et respectés; il fait progresser les dialogueurs plus rapidement, tout en procurant à chacun un sentiment d'accomplissement.

Référence : D’Errico, F., & Poggi, I. (2014). Acidity. The hidden face of conflictual and stressful situations. Cognitive Computation.

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