Mark Fortier : «On craint la paresse intellectuelle, la bêtise. Mais la bêtise qu’il faut craindre c’est simplement ne pas utiliser son intelligence. La bêtise qui serait intellectuellement active. Être bête est une activité intellectuelle intense – on dit que les cons ne se reposent jamais. On saute sur des raccourcis. ... La véritable paresse intellectuelle est une intelligence hyperactive qui tourne à vide à une vitesse frénétique.»
Serge Bouchard : «Autrement dit, l’intelligence qui est bête pourrait se mettre à parler, parler, et puis avec beaucoup d’info et même des éléments culturels, mais ça finit là, le bruit s’estompe.»
Mark Fortier : «C’est époustouflant, mais voilà, on a l’impression d’avoir mangé de l’Aspartam.»
J.-P. Pleau : «Beaucoup d’info sans être capable de la ‘processer’.»
Serge Bouchard : «Montaigne disait «ça ne sert à rien d’ouvrir le crâne d’un enfant puis de lui déverser de l’info; il faut lui montrer à penser et à traiter cette information.»
Article corrélé à l'interview :
Paresse : En quoi est-il important de vaincre la paresse intellectuelle?
Par Mark Fortier, sociologue et éditeur chez Lux (2)
Le 29/01/2015
(...) Nous sommes des êtres de culture. C’est pourquoi la paresse intellectuelle est pour le genre humain un grave problème, voire une menace existentielle.
L’idiotie ne figure donc pas parmi les droits de l’homme et du citoyen, et tout le monde est en principe disposé à la combattre. Même les imbéciles. C’est bien là le problème. On sait, au moins depuis Bouvard et Pécuchet, que la sottise s’investit facilement dans la science et le progrès. À l’université, par exemple, «l’excellence» est l’idéal de ces médiocres qui confondent la connaissance avec des indicateurs de performances : taux de diplomation, nombre d’articles publiés, nombre de victoires de l’équipe de football, quantité de subventions, qualité des logements étudiants et de la bouffe de la cafétéria.
Comme le remarquait Robert Musil dans les années 1930, «si la bêtise ne ressemblait pas à s’y méprendre au progrès, au talent, à l’espoir ou au perfectionnement, personne ne voudrait être bête» (De la bêtise, Allia). Il existe ainsi une bêtise intelligente. Celle-ci, précise Musil, n’est pas un défaut d’intelligence, elle est l’intelligence tournée contre l’esprit, c’est-à-dire tournée contre les formes de solidarités humaines nécessaires à l’autonomie de la pensée et de l’action. On peut perdre l’esprit et manifester une impressionnante vigueur intellectuelle.
La bêtise savante est très difficile à combattre, car elle se présente toujours comme un savoir désirable, une solide vérité, une avancée de l’humanité. Ainsi, de nos jours, on prête de l’intelligence à toutes choses, les villes, les téléphones, les maisons et les voitures, tous les points du globe sont reliés, et pourtant les liens qui nous unissent deviennent chaque jour plus opaques, sinon relâchés.
Cette prolifération des formes artificielles de l’intelligence est un fait social prodigieux. Elle permet l’accumulation à l’infini de l’information, elle témoigne de l’ingéniosité humaine, mais elle laisse aussi entrevoir un monde où les individus mèneraient une vie fragmentée, atomisée, ceux-ci ayant confié aux systèmes cybernétiques branchés les uns sur les autres le soin d’organiser l’unité de leur existence. Cette constellation de machines intelligentes propose déjà de réaliser le vieux rêve des philosophes d’une réconciliation de l’individu avec le monde en adaptant l’information aux intérêts singuliers de chaque personne. Mais qui voudrait d’un monde qui ne renverrait plus aux individus que l’image de leurs propres désirs, de leurs propres choix, où la liberté serait une mise en abîme?
La lutte à la paresse intellectuelle désignera son adversaire en répondant à cette question. Qui, aujourd’hui, donc, braque l’intelligence contre l’esprit? Qui menace notre compréhension de ce qui tient le monde ensemble? D’où vient la bêtise intelligente?
Il faut se rendre à l’évidence. La bêtise tombe aujourd’hui de haut. Ce sont les élites économiques et politiques qui désormais imposent l’ignorance. Ce sont elles qui musèlent les scientifiques lorsqu’ils s’inquiètent des dérèglements écologiques, elles qui soumettent l’éducation à la loi de l’argent, encore elles qui déconstruisent toutes les institutions sociales qui garantissent aux personnes une certaine indépendance face aux puissances économiques : les syndicats, les retraites, les garderies, la santé publique, etc.
http://revue.leslibraires.ca/articles/sur-le-livre/paresse-en-quoi-est-il-important-de-vaincre-la-paresse-intellectuelle
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(1) http://ici.radio-canada.ca/emissions/c_est_fou/2015-2016/
(2) Lux Éditeur a notamment publié le collectif BRUT La ruée vers l’or noir au sujet de Fort McMurray, ville-champignon au milieu d’un enfer écologique du nord de l’Alberta. L’or convoité : les gisements de sables bitumineux, le pétrole le plus sale qui existe, paroxysme du délire extractiviste.
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2015/05/voulez-vous-savoir.html
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