28 avril 2021

Ah, l'Alabama...

«Je ne sais pas ce que les États-Unis attendent pour envahir l’Alabama.» ~ Daniel Thibault, humoriste

Parmi les États du Sud qui forment la Bible Belt, l’Alabama est peut-être l’État protestant le plus rigoriste demeuré esclavagiste (en cachette). La Ceinture de la Bible fut aussi appelée Bible Lynching Belt. Cette zone n’a pas vraiment évolué depuis les années 40, même depuis la guerre de sécession. Il suffit de rouler en voiture à travers ces États pour croiser un nombre incalculable d’églises aux appellations variées. «Dieu, famille, patrie et fusils», la religion dans la vie publique transforme les hommes d’églises en fervents activistes politiques. Dans cette partie du Sud étasunien, il est parfois difficile de distinguer religion et politique, chrétien et républicain; «un bon chrétien ne saurait voter démocrate», comme on dit dans le Sud profond (Deep South)...

Suggestion : Au pays de Dieu – Récits / Douglas Kennedy, Belfond 2004 (1) [In God’s Country: Travels in the Bible Belt, USA / Hachette]

ALABAMA DES CHIENS

Édouard J. Maunick

il y avait l’homme Blanc

il y avait l’homme Noir

il y a maintenant les Chiens

les chiens aboyant dans Alabama...

quelque part dans Birmingham des enfants ne chantent plus

les blues de la faim de la faim de vivre enfin

Birmingham est une prison une nuit de portes de fer

rabattues sur des corps noirs comme un verrou de braise

Birmingham est lieu de mort la lèpre noire est déclarée

rentrez madame vos toutous et vos caniches

les molosses vont sauter aux poignets et mordre dans les jambes

déchirer les dos baver contre les ventres laver la ville

ternir les miroirs nègres jusqu’à l’image de peur...

et pourtant dans ces miroirs leurs yeux du souvenir

pas très loin dans autrefois vivait Mindanao

brûlait Guadalcanal flambait Tassafong

en ce temps là le sang fuyait également

la peau roussissait également

l’abîme s’ouvrait également

en ce temps là un seul et même doigt

libérait le chien des fusils...

 
Photo via Le Minarchiste

Amérique quelque chose rôde autour de toi

pétri du sang de peau et de vertige

des blues se préparent qui seront alléluias

Amérique ne force pas la naissance d’un Chaka

n’appelle pas d’étranges sortilèges

car les nègres* Noirs Amérique les nègres Noirs vont sortir...

* Mot qu'on n'a plus le droit de reproduire même s'il appartient à la littérature du passé - faudra-t-il bannir les oeuvres de Mark Twain, pourtant anti esclavagiste et ardent défenseur des afro-américains? Des fois le politiquement correct est dépourvu de simple bon sens.

Poème cueilli sur https://www.poetica.fr/

Biographie

Joseph Marc Davy Maunick, dit Édouard (J.) Maunick, nait à Flacq, un village de l’île Maurice, le 23 septembre 1931 et meurt le 10 avril 2021 à Paris. C’est un poète, critique, traducteur et diplomate mauricien. Diplômé du Teachers’ Training Collège, il enseigne dans des écoles primaires et secondaires à Maurice de 1951 à 1958. Ensuite, il travaille brièvement comme bibliothécaire en chef de la Ville de Port-Louis, avant d’immigrer à Paris vers l’âge de 30 ans.

À Paris, pendant près de 20 ans, il devient auteur et producteur d’émissions sur France-Culture et RFI, animateur de l’émission télévisée «Forum des Arts», rédacteur en chef des revues «Demain l’Afrique» et «Jeune Afrique». En 1982, son entrée comme directeur à l’Unesco lui donne l’occasion de parcourir tous les continents pendant plus de 10 ans. En 1994 il est nommé ambassadeur de l’île Maurice en Afrique du Sud. Il séjourne à Prétoria pendant 12 ans. En 2007, il retourne vivre à Port-Louis.

Ses poèmes sont imprégnés des images de sa terre natale, d’un sentiment de solitude, rappelant la persécution de ses ancêtres africains. Ses vers sont rythmés et sa poésie incantatoire et lyrique, a besoin d’être entendue, proférée.

Maunick reçoit le prix Apollinaire de poésie en 1977 pour «Ensoleillé vif». En 2003, l’Académie Française lui décerne le Grand prix de la francophonie et, en 2004, il est le lauréat du Grand Prix International de Poésie Léopold Sédar Senghor.

Depuis 2016, un prix de poésie porte son nom (Prix Édouard Maunick). Il récompense la création poétique mauricienne. Il est ouvert aux Mauriciens du pays ainsi qu’à ceux vivant à l’étranger. 

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(1) Un slogan qu’on doit voir fréquemment de nos jours dans le Sud : Christ / He’s the real thing

 

Extrait tiré du Prologue : Grands réveils; p. 44 / 48 

[La période Reagan] a vu le triomphe de la thérapie télévangéliste et le retour du fondamentalisme chrétien sur le terrain politique. Les croisés du petit écran offrent la paix intérieure garantie à qui invite Jésus dans son cœur, tout en encaissant les sommes colossales récoltées par leurs sermons électroniques, tandis que les politiciens de la droite religieuse vendent du réconfort à leurs partisans, leur soutenant que la morale chrétienne est la seule valide, que les électeurs sont les commandos de choc de Jésus face aux forces de la perdition, et seront admis dans la caserne céleste en récompense de leurs actions terrestres.

   La sécurité spirituelle, dans cette vie comme dans l’autre. Est-ce cette technique de base du marketing qui a transformé le télévangélisme en une industrie des plus prospères? Les milieux fondamentalistes ne poursuivent-ils pas d’autres desseins occultes, en premier lieu la destruction des barrières constitutionnelles entre l’Église et l’État? Les néochrétiens ne se cantonnent pas à une seule région d’Amérique, évidemment ... mais il est certain que la faveur religieuse de ces dernières années émane essentiellement du terrain de chasse traditionnel des prédicateurs : le Sud, la «Ceinture de la Bible».

   On a souvent dit que la Ceinture de la Bible représente un état d’esprit plutôt qu’un espace géographique. Peut-être que ce terme a toujours été une manière facile et peu précise de désigner cette vaste étendue du Sud américain qui, des années 1870 à nos jours, a été le paradis des prêcheurs itinérants et des colporteurs de la bonne parole. On a maintes fois expliqué la prédisposition des États du Sud au fondamentaliste chrétien par leur défaite au cours de la Guerre civile : une collectivité ruinée et humiliée cherchant consolation en un Dieu colérique, omnipotent, capable non seulement d’accomplir des miracles mais aussi de «casser la gueule» à Ses Ennemis. Puisque la Confédération avait échoué dans son entreprise terrestre, les héritiers de ce rêve brisé pouvaient au moins se dire qu’ils obtiendraient finalement leur part dans le royaume du Tout-Puissant. ~ Douglas Kennedy 

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