À ce compte-là, il faudrait éliminer la bible pour
ses propos extrêmement choquants, haineux et vengeurs qui encouragent la violence.
Mots tabous
Isabelle Hachey
La Presse+ / 15 août 2020
Le 29 octobre
dernier, la professeure Catherine Russell a présenté Pierre Vallières à ses
étudiants en cinéma, à l’Université Concordia. Elle leur a expliqué qui était
l’homme derrière la bouche : un intellectuel nationaliste, ex-felquiste, auteur
de Nègres blancs d’Amérique, paru en
1968.
Mme Russell, Américaine, a cité le titre du
livre à deux reprises, en anglais. De sa propre bouche est donc sorti, à deux
reprises, le N-word. Le mot tabou.
Neuf mois plus tard, des étudiants viennent
de lancer une pétition pour condamner Mme Russell, qui aurait fait preuve de
«violence anti-noire» en étalant son «autorité, son privilège et son pouvoir de
professeure blanche» en classe.
Le 31 juillet, Mme Russell leur avait
pourtant présenté ses plus plates excuses. «Profondément désolée», elle avait
admis qu’elle n’était pas au courant des impacts que pouvait avoir, dans le
contexte, l’utilisation du N-word.
Ce n’était pas suffisant.
Les 200 signataires veulent sa tête. Ils
exigent que Concordia lui retire son cours, à l’automne. L’Université n’a pas
encore tranché, me dit-on.
Dans un courriel à la CBC, une porte-parole
affirme que l’Université «encourage» les membres de la communauté à rapporter
de tels incidents. «Il n’y a pas de place pour le racisme à l’Université
Concordia.»
Y a-t-il encore de la place pour la liberté
académique, ce principe fondamental qui accorde aux profs un espace de liberté,
justement, pour s’exprimer sans subir de pressions? Allez savoir.
De cela, Concordia ne dit pas un mot.
On aura beau expliquer que Pierre Vallières,
avec son Nègres blancs, évoquait la réalité de la classe ouvrière canadienne-française
de l’époque…
[...]
Pour ceux qui condamnent la prof, ce ne sera
jamais que des mots vides de sens. Des paroles en l’air.
Ils n’en ont rien à faire du contexte. Selon
eux, le problème, c’est le mot lui-même. Pas «nègre». Pas negro. N*gger. Ce
mot-là porte en lui une telle charge explosive qu’aucun Blanc, sous aucun
prétexte, ne peut même songer à le chuchoter.
Point à la ligne.
Ceux qui le prononcent, même sans connaître
l’existence de cet interdit, doivent être punis. Comme Wendy Mesley,
présentatrice de la CBC, suspendue en juin pour avoir prononcé le N-word lors
de deux réunions de travail – une fois en rapportant les propos d’une collègue
s’étant fait insulter de la sorte et l’autre en citant… Nègres blancs d’Amérique.
[...]
Je sais que Nègres blancs d’Amérique est un bouquin.
Je trouve absolument fou qu’un prof doive s’excuser pour avoir cité le titre de
ce bouquin.
Ce genre
d’intervention de la part de la communauté noire peut avoir l’effet inverse à
celui escompté. Faudrait-il réécrire ou éliminer tout ce qui contient le
mot nègre ou nigger? C’est pousser le principe à un extrême qui frôle le ridicule, et l’attitude peut éveiller plus de rejet que de compréhension ou de compassion. Pouvons-nous
citer sans nous faire taper dessus le livre de Dany Laferrière : «Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer»? Ah, mais vu
qu’il est lui-même noir, ça peut passer. Même damné débat qu’avec l’«appropriation
culturelle».
Traduction politiquement
correcte de «Nègres blancs d’Amérique»
Renommer
l’œuvre ou la brûler?
Caricature de
la folie des wokes et de la «cancel culture»...
(via
Alexandre Gauthier)
S. E. Fortin@S_EFortin
16 août
Il n’y avait
pas plus anti-racisme-esclavagisme que Mark Twain. Néanmoins, il a utilisé les
mots negro et nigger à profusion dans ses romans pour illustrer ses propos. Faudrait-il déchiqueter
tous ses ouvrages?
“Our Civil War
was a blot on our history, but not as great a blot as the buying and selling of
Negro souls.” ~ Mark Twain (Letter to New York Herald Tribune)
Harper Lee et Mark Twain interdits
pour racisme dans les écoles de Virginie
Elena
Scappaticci
Le Figaro / 8
décembre 2016
Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur et Les Aventures de Huckleberry Finn ont disparu des classes de cet
État du Sud des États-Unis après qu'une mère d'élève en a fait la demande. The Guardian rapporte que les très
nombreuses injures racistes présentes dans les deux ouvrages auraient motivé sa
plainte.
Exemplaire de la toute première édition.
Le comté
d'Accomac, dans l'État de Virginie, a suspendu la lecture de Ne tirez pas sur
l'oiseau moqueur de Harper Lee et des Aventures de Huckleberry Finn de Mark
Twain dans les écoles publiques, le 3 décembre dernier. En cause? 250
occurrences d'injures racistes, dont l'appellation «nigger» («nègre» dans les
traductions françaises), référencées dans les deux ouvrages, datées
respectivement de 1960 et 1840. Le Guardian rapporte que cette décision aurait
été prise suite à la plainte déposée par une mère d'élève, dont le fils,
métissé, aurait été particulièrement choqué par la récurrence systématique du
«N-word» dans les deux œuvres.
«Il y a tellement de discours racistes
là-dedans que vous ne pouvez pas passer au-dessus», a-t-elle ainsi déclaré au
journal britannique. Son choix semble également motivé par le climat politique
né de l'élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump, puisqu'elle a
précisé qu'il lui semblait peu justifié d'introduire de tels ouvrages dans les
écoles alors que la nation américaine était encore «divisée». Une allusion à peine
voilée au soutien manifesté par des mouvements d'extrême droite, partisans de
la ségrégation raciale à l'ex-candidat républicain. Avec l'élection du candidat
républicain, de telles polémiques se multiplient, souvent motivées par la peur
de voir se libérer une parole raciste dans l'espace public.
Fausse controverse?
Dans
l'attente que le comité mis en place pour l'occasion ne statue sur l'avenir des
deux ouvrages, leur éviction définitive des écoles n'a pas encore été prononcée.
Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur et Les Aventures de Huckleberry Finn ont déjà
disparu en revanche des rayonnages des bibliothèques publiques et des salles de
classe des établissements scolaires de Virginie.
Une décision qui n'a pas manqué de faire
réagir la National Coalition Against Censorship, une association américaine de
lutte contre la censure, qui dénonce sur son site une décision
«particulièrement odieuse» et regrette que, par ce geste, les écoles de
Virginie «cherchent à éviter tout débat sur des sujets aussi polémiques que le
racisme, au détriment de leurs élèves».
La NCAC a
également envoyé une lettre à la commission des écoles de Virginie, dans
laquelle elle rappelle une nouvelle fois la nécessité d'étudier ces deux
ouvrages à l'école: «Chaque livre permet aux lecteurs d'acquérir une
compréhension historique des relations raciales en Amérique et les invite à
examiner la situation actuelle. Bien que déconcertantes pour certains, les
insultes raciales représentent de manière réaliste l'histoire des États-Unis et
doivent être étudiées sous la tutelle d'un enseignant.»
Deux auteurs à l'origine de nombreuses
polémiques
Ça n'est pas
la première fois que les deux auteurs suscitent de telles controverses. Comme
le rapporte le site Slate, l'Association des bibliothèques américaines (ALA) a
classé Les Aventures de Huckleberry Finn quatorzième dans sa liste des livres
le plus souvent interdits ou contestés (dans les bibliothèques, les écoles, les
médias...) depuis le début du XXIe siècle. Le chef-d'œuvre de la romancière
Harper Lee, Ne Tirez pas sur l'oiseau moqueur, figure quant à lui à la 21e
place. En 2011, l'éditeur américain NewSouth Books a même choisi de publier une
nouvelle version du roman, en remplaçant dans cette dernière le mot «nigger»
par «slave» («esclave»)...
Raciste,
Mark Twain? C'est oublier un peu vite l'histoire de son roman, qui raconte les
aventures de Huck, l'ami de Tom Sawyer et de Jim, l'esclave en fuite, tout en
prenant ouvertement parti pour les deux héros. À l'occasion de la
publication de l'édition «corrigée» des Aventures de Huckleberry Fin,
l'universitaire américaine Sarah Churchwell confiait ainsi son indignation au
Guardian : «Beaucoup de lecteurs ne
savent pas faire la distinction entre un livre raciste et un livre avec des
personnages racistes, expliquait-elle. Le
fait que la sympathie de l'auteur va clairement vers Huck et Jim, et contre les
esclavagistes (qui sont uniquement des adultes blancs), est occulté, pour eux,
par l'utilisation ordinaire du mot “nègre” — même si c'était pourtant le seul
que des petits campagnards illettrés des années 1840 auraient utilisé pour
décrire un esclave.»
La censure des deux ouvrages, alimentée par
l'atmosphère tendue de l'Amérique de Trump, rejoint également l'un des sujets
les plus présents dans le débat public américain, celui de «l'appropriation
culturelle». Au cœur de nombreuses polémiques, la notion désigne
l'appropriation de la culture d'une minorité par les blancs. Pour Michael
North, professeur de littérature américaine interviewé par France Info, les
nombreuses controverses soulevées par le roman de Mark Twain seraient «en
partie liées au fait que Twain mettait en scène un personnage afro-américain en
s'exprimant pour son compte.» Une chose est sûre, 150 ans après l'abolition de
l'esclavage, l'Amérique n'en finit pas de panser ses plaies...
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