~ Albert
Camus (La peste, 1947)
La Covid-19
fera-t-elle autant de morts que la guerre en Syrie? L’Observatoire syrien des droits
de l’Homme (OSDH) a dénombré 380 000 morts depuis 2011, dont plus de 115 000
civils.
Image :
André-Philippe Côté, Le Soleil 27.03.2020
Un article de
Delphine Jung (ICI Radio-Canada / Société) rapportait que les restrictions pour
endiguer la propagation de la Covid-19 ont bousculé les rites funéraires
religieux (ou les cérémonies laïques précédant la crémation dans les maisons
funéraires) puisque les rassemblements extérieurs et intérieurs sont interdits
depuis le 21 mars. Les lieux de culte sont même fermés – chapelles, églises, synagogues,
mosquées. Seulement deux personnes proches peuvent assister aux obsèques.
L’incinération
semble une alternative adéquate à l’inhumation en temps de pandémie et elle aurait l’avantage
d’éliminer à coup sûr la propagation du nouveau coronavirus.
Voici un billet
sur le deuil qui n’ira pas au cimetière car il n’a pas pris une ride!
C'est la vie! – Le voile saisonnier du
deuil
Josée
Blanchette
Le Devoir, vendredi
14 juillet 2006
La mort
s'attrape, même celle des autres. Comme la grippe aviaire et la maladie de la
vache folle, il y a contagion possible, surtout en plein été. Il n'y a qu'à
voir de quelle façon on évite les mourants, ces pestiférés. Une fois décrétés
morts cliniquement, on leur rend visite au salon funéraire. C'est un peu tard,
mais c'est de bon coeur. On constate l'irréfutable – y'a pas de doute, c'est
lui, mais en plus maquillé – et on fait son deuil comme on le peut de ce qui a
été. La vie.
Vieillir,
c'est s'endeuiller, rendre l'âme au noir, en douce. Il n'y a pas de saison pour
ça, vous remarquerez. Le noir amincit mais le deuil magnifie, sorte de tamis
nostalgique qui ne retient que les beaux souvenirs pour laisser filer l'ivraie.
Le deuil conserve, comme le froid. Il permet de se mettre au congélateur pour
un temps, une parenthèse sous zéro. Ouvrez vos climatiseurs ou, mieux, allez
voir Le Secret de ma mère dans un
cinéma frigorifié près de chez vous. Belle façon de faire la paix avec les
rituels mortuaires et de rire un peu de nos névroses qui sont contagieuses
elles aussi.
Mortelle pédagogie
J'ai appris,
à force de le pratiquer intensivement, que le deuil était pédagogique, une
vieille sagesse de l'intime. Il nous enseigne à mourir à nous-mêmes, aux
autres, à ce qui nous semblait éternel dans notre corps, notre coeur, notre
avenir, l'illusion ultime. Et les deuils durent une éternité. Une éternité
d'humilité qui nous montre du doigt la porte de notre fragilité intérieure. La
vie ne manque pas de seuils à franchir. Chaque saison en est un. Chaque fleur
fanée d'un bouquet aussi. L'esthétique du wabi-sabi japonais le résume bien :
toute chose est impermanente, imparfaite et incomplète. Le deuil nous gifle ces
trois vérités en pleine figure.
Et le spectre
nous attend même dans ce qui s'annonçait comme pure joie. «Le miracle d'être
parent est un immense deuil en continu» m'avait avertie une amie, mère de trois
enfants. Elle avait raison. Chaque pas vers l'autonomie est une délivrance et
un deuil imbriqués l'un dans l'autre. Le temps qui passe nous fait un pied de
nez. Chaque pyjama trop petit, chaque tricycle rangé au fond du garage est un
minuscule rappel que le petit d'homme se précipite aveuglément vers la mort, la
sienne et forcément la nôtre.
Dans un
récent numéro hors-série du Nouvel Observateur consacré à la mort (Apprivoiser
la mort pour mieux vivre, avril/mai 2006), on donnait la parole à une poignée
de philosophes et de sociologues sur cet apprivoisement nécessaire laissé en
jachère par les sociétés dites évoluées. Une grave erreur qui ne fait
qu'amplifier l'angoisse, de l'avis de tous. Se réconcilier avec la mort, via celle
des autres, par l'entremise du deuil et de la ritualité, est une grande leçon
de vie, sinon LA plus grande. «L'humanité de l'homme apparaît avec la
conscience de la mort, qui se manifeste par le respect ou la considération des
dépouilles», souligne Paul Yonnet, sociologue.
Les premières
traces de rituels funéraires remontent à 400 000 ans, les premières sépultures
à 100 000 ans. Autrefois, dès le plus jeune âge on vivait en permanence avec la
conscience de sa propre mort, la mortalité infantile étant beaucoup plus
présente qu'elle ne l'est aujourd'hui. «À présent, l'homme dérivé de sapiens
vit sans la conscience de la mort presque la moitié de sa vie. Il en résulte
que, durant cette partie de son existence, il met de côté son humanité : dans
l'oubli de la mort, l'homme oublie son humanité», ajoute le sociologue. Il
précise que, en niant sa finalité, l'humain vit comme les animaux ou comme les
préhumains, dans une sorte d'inconscience euphorique, d'insouciance,
d'adolescence prolongée à la recherche du vertige. Faire l'économie du
face-à-face avec la mort nous mènera à notre perte. Un peu plus tôt que tard.
Humilité passagère
Pour
certains, mais de plus en plus rarement, le savoir-mourir ferait partie du
savoir-vivre. «C'est en tant qu'événement incroyable et devant lequel la
résignation solitaire n'offre aucun secours que la mort entraîne la nécessité
de la culture, l'élaboration d'un sens, la mise en scène de solidarités
sociales», écrit Patrick Baudry, prof de sociologie à Bordeaux. «Aujourd'hui, il
serait du deuil un handicap, et éventuellement une pathologie.» Au contraire,
pense-t-il, le deuil témoigne d'une intelligence humaine et d'une implication
dans notre propre histoire.
Personne ou
presque n'est fait pour la mort. Le déni est une piste d'expert très attirante,
surtout pour les néophytes. «Les rites funéraires servent de thérapie à
l'angoisse des vivants car ils négocient, par le biais du symbole, tout ce qui,
dans la mort, semble dépourvu de sens», explique Claude Javeau dans le Nouvel Obs.
Ce sociologue prétend que notre fascination pour l'individu explique l'embarras
contemporain suscité par la mort et le deuil : «La mort, qui nie cet
individualisme, doit être évacuée du théâtre des vivants, aux yeux desquels
elle constitue un véritable scandale.» Autrement dit, la ritualité mortuaire
est le théâtre de tous les vivants. Que serait un comédien sans public? Un
mort-vivant, sans doute.
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