À la
suite des manifestations des Gilets Jaunes, beaucoup d’observateurs et de
journalistes ont évoqué la Révolution française, y trouvant des similitudes si jamais
le mouvement en venait à déraper. J’y ai pensé aussi. On ne souhaite surtout pas ça.
J’ai relu des passages de mon vieil exemplaire Quatrevingt-treize
de Victor Hugo (Éditions Classiques Français, Booking International Paris,
avril 1993).
Dans
une note datée de 1854 Hugo précisait l’objectif de son roman :
«Moi, si je faisais l'histoire de la
Révolution (et je la ferai), je dirais tous les crimes des révolutionnaires,
seulement je dirais quels sont les vrais coupables, ce sont les crimes de la
monarchie.»
«Dans
la Vendée de 1793, trois personnages s'affrontent : l'aristocrate Lantenac,
fidèle à son passé, son petit-neveu Gauvain, tourné vers l'avenir généreux de
la République, et le conventionnel Cimourdain, plus durement soucieux des
exigences présentes de la Révolution et de la Terreur. Dans cette épopée où le
romancier mêle la fiction de l'intrigue et la réalité de l'Histoire – Danton,
Robespierre et Marat sont au centre du livre –, chacun des trois héros se
trouve ainsi guidé par une certaine idée du devoir et de l'honneur. Et chacun
sera conduit à une forme d'héroïsme qui n'écarte pas la mort. L'écrivain se
refuse donc à trancher, et Quatrevingt-treize n'est pas un roman à thèse : «Je
ne veux ni du crime rouge ni du crime blanc.» Ce qui s'affirme dans ce livre
qui paraît en 1874 et sera le dernier roman de Hugo (1802-1885), c'est une
vision de l'Histoire qui garde trace, mais ne s'interdit pas l'espérance.» (Édition
de Bernard Leuilliot)
«C'est
bien en Vendée, terre de religion, de tradition et de violence, que se déroule
le magnifique roman Quatrevingt-treize. Républicain convaincu, Victor Hugo ne
condamne jamais les aspirations qui sont à l'origine de la Révolution, mais met
en scène les contradictions d'un système qui, à force de vouloir défendre par
l'acier et le feu ses nobles idéaux, a fini par les étouffer dans le sang.
Cette contradiction est illustrée par la relation tendre et conflictuelle entre
Gauvain et Cimourdain : l'un pense la Révolution avec son coeur, l'autre avec
sa tête. C'est, hélas, cette deuxième vision qui prévaudra finalement et c'est
sous le couperet de la guillotine que Hugo fera périr la dernière étincelle de
pureté de la première République.» (Arakasi, Babelio)
J’ai
choisi la remarquable conclusion du roman. Entre autres pour sa description de
la monstrueuse guillotine (1), mais
surtout pour le passage (que j’ai marqué en gras) concernant la nature qu’il
qualifie d’impitoyable dans sa
détermination à créer de la beauté tandis que nous ne cessons de créer de la
laideur : «L’homme brise et broie,
l’homme stérilise, l’homme tue; l’été reste l’été, le lys reste lys, l’astre
reste l’astre. ... En présence de la création fleurie, embaumée, aimante et
charmante, le ciel splendide inondait d’aurore la Tourgue et la guillotine, et
semblait dire aux hommes : Regardez ce que je fais et ce que vous faites.»
Livre
septième Féodalité et Révolution – VI
Cependant le soleil se lève
Le
jour ne tarda pas à poindre à l’horizon.
En
même temps que le jour, une chose étrange, immobile, surprenante, et que les
oiseaux du ciel ne connaissaient pas, apparut sur le plateau de la Tourgue
au-dessus de la forêt de Fougères.
Cela avait été mis là dans la nuit. C’était
dressé, plutôt que bâti. De loin sur l’horizon c’était une silhouette faite de
lignes droites et dures ayant l’aspect d’une lettre hébraïque ou d’un de ces
hiéroglyphes d’Égypte qui faisaient partie de l’alphabet de l’antique énigme.
Au premier abord, l’idée que cette chose
éveillait était l’idée de l’inutile. Elle était parmi les bruyères en fleur. On
se demandait à quoi cela pouvait servir. Puis on sentait venir un frisson. C’était
une sorte de tréteau ayant pour pieds quatre poteaux. À un bout du tréteau, deux
hautes solives, debout et droites, reliées à leur sommet par une traverse, élevaient
et tenaient suspendu un triangle qui semblait noir sur l’azur du matin. À
l’autre bout du tréteau, il y avait une échelle. Entre les deux solives, en
bas, au-dessous du triangle, on distinguait une sorte de panneau composé de
deux sections mobiles qui, en s’ajustant l’une à l’autres, offraient au regard
un trou rond à peu près de la dimension du cou d’hun homme. La section
supérieure du panneau glissait dans une rainure, de façon à pouvoir se hausser
ou s’abaisser. Pour l’instant, les deux croissants qui en se rejoignant formait
le collier étaient écartés. On apercevait au pied des deux piliers portant le
triangle une planche pouvant tourner sur une charnière et ayant l’aspect d’une
bascule. À côté de cette planche il y avait un panier long, et entre les deux
piliers, en avant, et à l’extrémité du tréteau, un panier carré. C’était peint
en rouge. Tout était en bois, excepté le triangle qui était de fer. On sentait
que cela avait été construit par des hommes, tant c’était laid, mesquin et
petit; et cela aurait mérité d’être apporté là par des génies, tant c’était
formidable.
Cette bâtisse difforme, c’était la
guillotine.
En face, à quelques pas, dans le ravin, il y
avait un autre monstre, la Tourgue. Un monstre de pierre faisant pendant au
monstre de bois. Et, disons-le, quand l’homme a touché au bois et à la pierre,
le bois et la pierre ne sont plus ni bois ni pierre, et prennent quelque chose
de l’homme. Un édifice est un dogme, une machine est une idée.
La Tourgue était cette résultante fatale du
passé qui s’appelait la Bastille à Paris, la Tour de Londres en Angleterre, le
Spielberg en Allemagne, l’Escurial en Espagne, le Kremlin à Moscou, le château
Saint-Ange à Rome.
Dans la Tourgue étaient condensés quinze
cents ans, le Moyen Âge, le vasselage, la glèbe, la féodalité; dans la
guillotine une année, 93; et ces douze mois faisaient contrepoids à ces quinze
siècles.
La Tourgue, c’était la monarchie; la
guillotine, c’était la révolution.
Confrontation tragique.
D’un côté, la dette; de l’autre, l’échéance.
D’un côté, l’inextricable complication gothique, le serf, le seigneur,
l’esclave, le maître, la roture, la noblesse, le code multiple ramifié en
coutumes, le juge et le prêtre coalisés, les ligatures innombrables, le fisc,
les gabelles, la mainmorte, les capitations, les exceptions, les prérogatives,
les préjugés, les fanatismes, le privilège royal de banqueroute, le sceptre, le
trône, le bon plaisir, le droit divin; de l’autre, cette chose simple, un
couperet.
D’un côté, le nœud; de l’autre, la hache.
La Tourgue avait été longtemps seule au
désert. Elle était là avec ses mâchicoulis d’où avaient ruisselé l’huile
bouillante, la poix enflammée et le plomb fondu, avec ses oubliettes pavées
d’ossements, avec sa chambre aux écartèlements, avec la tragédie énorme dont
elle était remplie; elle avait dominé de sa figure funeste cette forêt, elle
avait eu dans cette ombre quinze siècles de tranquillité farouche, elle avait
été dans ce pays l’unique puissance, l’unique respect et l’unique effroi; elle
avait régné; elle avait été, sans partage, la barbarie; et tout à coup elle
voyait se dresser devant elle et contre elle, quelque chose, – plus que quelque
chose, – quelqu’un d’aussi horrible qu’elle, la guillotine.
La pierre semble quelquefois avoir des yeux
étranges. Une statue observe, une tour guette, une façade d’édifice contemple.
La Tourgue avait l’air d’examiner la guillotine.
Elle avait l’air de s’interroger.
Qu’était-ce que cela?
Il semblait que cela était sorti de terre.
Et cela était sorti en effet.
Dans la terre fatale avait germé l’arbre
sinistre. De cette terre, arrosée de tant de sueurs, de tant de larmes, de tant
de sang, de cette terre ou avaient été creusées tant de fosses, tant de tombes,
tant de cavernes, tant d’embûches, de cette terre où avaient pourri toutes les
espèces de morts faits par toutes les espèces de tyrannies, de cette terre superposée
à tant d’abîmes, et où avaient été enfouis tant de forfaits, semences
affreuses, de cette terre profonde,
était sortie, au jour marqué, cette inconnue, et 93 avait dit au vieux
monde :
– Me voilà.
Et
la guillotine avait droit de dire au donjon :
– Je suis ta fille.
Et en même temps le donjon, car ces choses
fatales vivent d’une vie obscure, se sentait tué par elle.
La Tourgue, devant la redoutable apparition,
avait on ne sait quoi d’effaré. On eût dit qu’elle avait peur. La monstrueuse
masse de granit était majestueuse et infâme, cette planche avec son triangle
était pire. La toute-puissance déchue avait l’horreur de la toute-puissante
nouvelle. L’histoire criminelle considérait l’histoire justicière. La violence
d’autrefois se comparait à la violence d’à présent; l’antique forteresse,
l’antique prison, l’antique seigneurie, où avaient hurlé les patients
démembrés, la construction de guerre et de meurtre, hors de service et hors de
combat, violée, démantelée, découronnée, tas de pierres valant un tas de
cendres, hideuse, magnifique et morte, toute pleine du vertige des siècles
effrayants, regardait passer la terrible heure vivante. Hier frémissait devant
Aujourd’hui, la vieille férocité constatait et subissait la nouvelle épouvante,
ce qui n’était plus que le néant ouvrait des yeux d’ombre devant ce qui était
la terreur, et le fantôme regardait le
spectre.
La
nature est impitoyable; elle ne consent pas à retirer ses fleurs, ses musiques,
ses parfums et ses rayons devant l’abomination humaine; elle accable l’homme de
la beauté divine avec la laideur sociale; elle ne lui fait grâce ni d’une aile
de papillon ni d’un chant d’oiseau; il faut qu’en plein meurtre, en pleine
vengeance, en pleine barbarie, il subisse le regard des choses sacrés; il ne
peut se soustraire à l’immense reproche de la douceur universelle et à
l’implacable sérénité de l’azur. Il faut que la difformité des lois humaines se
montre toute nue au milieu de l’éblouissement éternel. L’homme brise et broie,
l’homme stérilise, l’homme tue; l’été reste l’été, le lys reste lys, l’astre
reste l’astre.
Ce matin-là, jamais le ciel frais du jour levant n’avait été plus charmant.
Un vent tiède remuait les bruyères, les vapeurs rampaient mollement dans les branchages,
la forêt de Fougères, toute pénétrée de l’haleine qui sort des sources, fumait
dans l’aube comme une vaste cassolette pleine d’encens; le bleu du firmament, la
blancheur des nuées, la claire transparence des eaux, la verdure, cette gamme
harmonieuse qui va de l’aigue-marine à l’émeraude , les groupes d’arbres
fraternels, les nappes d’herbes, les plaines profondes, tout avait cette pureté
qui est l’éternel conseil de la nature à l’homme. Au milieu de tout cela
s’étalait l’affreuse impudeur humaine; au milieu de tout cela apparaissaient la
forteresse et l’échafaud, la guerre et le supplice, les deux figures de l’âge
sanguinaire et de la minute sanglante; la chouette de la nuit du passé et la
chauve-souris du crépuscule de l’avenir. En présence de la création fleurie,
embaumée, aimante et charmante, le ciel splendide inondait d’aurore la Tourgue
et la guillotine, et semblait dire aux hommes : Regardez ce que je fais et
ce que vous faites.
Tels sont les formidables usages que le
soleil fait de sa lumière.
Ce spectacle avait des spectateurs.
Les quatre mille hommes de la petite armée
expéditionnaire étaient rangés en ordre de combat sur le plateau. Ils entouraient
la guillotine de trois côtés, de façon à tracer autour d’elle, en plan
géométral, la figure d’un E; la batterie placée au centre de la plus grande
ligne faisant le cran de l’E. La machine rouge était comme enfermée dans ces
trois fronts de bataille, sorte de muraille de soldats repliés des deux côtés
jusqu’aux bords de l’escarpement du plateau; le quatrième côté, le côté ouvert,
était le ravin même, et regardait la Tourgue.
Cela faisait une place en carré long, au
milieu de laquelle était l’échafaud. À mesure que le jour montait, l’ombre
portée de la guillotine décroissait sur l’herbe. Les artilleurs étaient à leurs
pièces, mèches allumées. Une douce fumée bleue s’élevait du ravin; c’était
l’incendie du pont qui achevait d’expirer.
Cette fumée estompait sans la voiler la
Tourgue dont la haute plate-forme dominait tout l’horizon. Entre cette
plate-forme et la guillotine il n’y avait que l’intervalle du ravin. De l’une à
l’autre on pouvait se parler.
Sur cette plate-forme avaient été
transportées la table du tribunal et la chaise ombragée de drapeaux tricolores.
Le jour se levait derrière la Tourgue et faisait saillir en noir la masse de la
forteresse, et, à son sommet, sur la chaise du tribunal et sous le faisceau de
drapeaux, la figure d’un homme assis, immobile et les bras croisés.
Cet homme était Cimourdain. Il avait, comme
la veille, son costume de délégué civil, sur la tête le chapeau à panache
tricolore, le sabre au côté et les pistolets à la ceinture.
Il se taisait. Tous se taisaient. Les
soldats avaient le fusil au pied et baissaient les yeux. Ils se touchaient du
coude, mais ne se parlaient pas. Ils songeaient confusément à cette guerre, à
tant de combats, aux fusillades des haies si vaillamment affrontées, aux nuées
de paysans furieux chassés par leur souffle, aux citadelles prises, aux
batailles gagnées, aux victoires, et il leur semblait maintenant que toute
cette gloire leur tournait en honte. Une sombre attente serrait toutes les
poitrines. On voyait sur l’estrade de la guillotine le bourreau qui allait et
venait. La clarté grandissante du matin emplissait majestueusement le ciel.
Soudain on entendit ce bruit voilé que font
les tambours couverts de crêpe. Ce roulement funèbre approcha; les rangs
s’ouvrirent, et un cortège entré dans le carré, et se dirigea vers l’échafaud.
D’abord, les tambours noirs, puis une
compagnie de grenadiers, l’arme basse, puis un peloton de gendarmes, le sabre
nu, puis le condamné, – Gauvain.
Gauvain marchait librement. Il n’avait de
cordes ni aux pieds ni aux mains. Il était en petit uniforme; il avait son
épée.
Derrière lui venait un autre peloton de
gendarmes. Gauvain avait encore sur le visage cette joie pensive qui l’avait
illuminé au moment où il avait dit à Cimourdain : Je pense à l’avenir.
Rien n’était ineffable et sublime comme ce sourire continué.
En arrivant sur le lieu triste, son premier
regard fut pour le haut de la tour. Il dédaigna la guillotine.
Il savait que Cimourdain se ferait un devoir
d’assister à l’exécution. Il le chercha des yeux sur la plate-forme. Il l’y
trouva.
Cimourdain était blême et froid. Ceux qui
étaient près de lui n’entendaient pas son souffle.
Quand il aperçut Gauvain, il n’eut pas un
tressaillement.
Gauvain cependant s’avançait vers
l’échafaud.
Tout en marchant, il regardait Cimourdain et
Cimourdain le regardait. Il semblait que Cimourdain s’appuyât sur ce regard.
Gauvain arriva au pied de l’échafaud. Il y
monta. L’officier qui commandait les grenadiers l’y suivit. Il défit son épée
et la remit à l’officier, il ôta sa cravate et le remit au bourreau.
Il ressemblait à une vision. Jamais il
n’avait apparu plus beau. Sa chevelure brune flottait au vent; on ne coupait
pas les cheveux alors. Son cou blanc faisait songer à une femme, et son œil
héroïque et souverain songer à un archange. Il était sur l’échafaud, rêveur. Ce
lieu-là aussi est un sommet.. Gauvain y était debout, superbe et tranquille. Le
soleil, l’enveloppant, le mettait comme dans une gloire.
Il fallait pourtant lier le patient. Le
bourreau vint, une corde à la main.
En ce moment-là, quand ils virent leur jeune
capitaine si décidément engagé sous le couteau, les soldats n’y tinrent plus;
le cœur de ces gens de guerre éclata. On entendit cette phrase énorme, le
sanglot d’une armée. Une clameur s’éleva : Grâce! Grâce! Quelques-uns
tombèrent à genoux; d’autres jetaient leurs fusils et levaient les bras vers la
plate-forme où était Cimourdain. Un grenadier cria en montrant la
guillotine :
– Reçoit-on des remplaçants pour ça? Me
voici. – Tous répétaient frénétiquement : Grâce! grâce! et des lions qui
auraient entendu cela eussent été émus ou effrayés, car les larmes des soldats
sont terribles.
Le bourreau s’arrêta, ne sachant plus que
faire.
Alors une voix brève et basse, et que tous
pourtant entendirent, tant elle était sinistre, cria du haut de la tour :
– Force à la loi!
On reconnut l’accent inexorable. Cimourdain
avait parlé. L’armée frissonna.
Le bourreau n’hésita plus. Il s’approcha
tenant sa corde.
– Attendez, dit Gauvain.
Il se tourna vers Cimourdain, lui fit, de sa
main droite encore libre, un geste d’adieu, pui se laissa lier.
Quand il fut lié, il dit au bourreau :
– Pardon. Un moment encore.
Et il cria :
– Vive la République!
On le coucha sur la bascule. Cette tête
charmante et fière s’emboîta dans l’infâme collier. Le bourreau lui releva
doucement les cheveux, puis pressa le ressort; le triangle se détacha et glissa
lentement d’abord, puis rapidement; on entendit un coup hideux...
Au même instant on en entendit un autre. Au
coup de hache répondit un coup de pistolet. Cimourdain venait de saisir un des
pistolets qu’il avait à sa ceinture et, au moment où la tête de Gauvain roulait
dans le panier, Cimourdain se traversait le cœur d’une balle. Un flot de sang
lui sortit de la bouche, il tomba mort.
Et ces deux âmes, sœurs tragiques,
s’envolèrent ensemble, l’ombre de l’une mêlée à la lumière de l’autre.
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«L'homme fut créé tel un animal sanguinaire et
je crois qu'il aura toujours soif de sang, et qu’il s’organisera pour en avoir.
Je pense qu'il est de loin le pire animal qui existe; et le seul qui soit
indomptable.» (Lettre à William Dean Howells, 1899)
L’homme est le seul animal qui donne dans l’atrocité des atrocités : la
Guerre. Il est le seul qui rassemble ses frères pour aller calmement exterminer
ses semblables de sang froid. Il est le seul animal qui, pour un salaire
minable, marche et tue des étrangers de sa propre espèce qui ne lui ont fait
aucun mal et avec lesquels il n'est pas en conflit. Et pendant les intervalles
entre les guerres, il lave ses mains souillées de sang en travaillant pour la
‘Confrérie universelle de l’homme’.» (My
Father Mark Twain)
~ Mark Twain (1835-1910)
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(1)
La Révolution fut un «holocauste démocratique» qui a fait 1 400 000 morts;
ce grand nombre est dû aussi à la guerre étrangère, superposée à la guerre civile avec
ses têtes guillotinées, ses pendus et ses éventrés.
Héritage d’une longue tradition, les
exécutions doivent être publiques comme l’indique le code pénal de 1791. Le 25
avril 1792 c’est l’euphorie, une vraie fête en place de Grève, la première
exécution pénale [par guillotine] doit avoir lieu. Toutes les couches de la
population y participent. La chronique de Paris relate cet événement majeur
pour le peuple : «Hier, à trois heures de l’après-midi, on a mis en usage, pour
la première fois, la machine destinée à couper la tête des criminels […] La
nouveauté du spectacle avait considérablement grossi la foule de ceux qu’une
pitié barbare conduit à ces tristes spectacles». Si le geste semble «barbare»
il est pourtant très loin de la torture. La foule est perplexe et assez déçue,
car elle est habituée à un spectacle de longue agonie. Je vous passe l’histoire
des deux tribunaux révolutionnaires qui font de la guillotine l’objet central
de la France avec une succession de décapitations politiques.
La guillotine est le grand outil de la
Terreur. Du premier condamné le 25 avril jusqu’en août 1792, la guillotine
restera sur place de la Grève, actuellement place de l’Hôtel de Ville. Le 21 août
elle sera transportée place du Carrousel, face au palais des Tuileries alors
siège du gouvernement, c’est le début des exécutions politiques. Le 27 août
elle retourne place de la Grève, et bien sûr le 21 janvier 1793, elle arrivera exceptionnellement
place de la Révolution pour l’exécution de Louis XVI. La place de la Révolution
verra tomber la tête de Marie-Antoinette, Danton, Charlotte Corday etc. Elle
fera tomber aussi les Robespierristes en juillet 1794. Même si la guillotine passe
par la place de la Bastille, elle finira place du Trône Renversé, aujourd’hui
nommée Place de la Nation.
Exécution de Louis XVI
Lors de l’exposition universelle de 1889 des
touristes viennent en cars organisés afin d’être spectateurs des exécutions du
jour. La presse se fait de plus en plus nombreuse et présente. Entre la fin du
XIXème siècle et le début du XXème, près de 600 personnes sont exécutées, la
foule devient trop présente par rapport au service d’ordre. Même si en
Angleterre et aux Pays Bas, les exécutions ne sont plus publiques depuis 1860
et 68, en France, le projet de loi est rejeté en 1898.
Il faudra attendre le 24 juin 1939 pour que
les condamnés à mort soient guillotinés dans l’enceinte des prisons, loin à
l’abri du regard du peuple.