15 juillet 2021

Colonisation et libre-échange égalent contamination

La terre est plus belle que le monde qui vit dessus. (Le monde : les humains)

Photo : Fous de Bassan

Les envahisseurs contaminent tout ce qu’ils touchent, nous en avons eu une preuve de plus avec la pandémie Covid-19. La mondialisation est une monstrueuse machine à détruire les humains, les animaux et la nature. Je ne parle pas ici des échanges commerciaux «normaux» mais du capitalisme extrême qui engendre la surproduction et le gaspillage et nous a mené à la crise climatique actuelle. Les industriels cupides s’en mettent plein les poches.

Notre bien-aimé éveilleur de conscience Serge Bouchard, par malheur décédé en mai dernier, a abordé ce thème à maintes reprises, de toutes les façons possibles. Nous n’avons toujours rien compris; tout le monde s’acharne à recréer le monde consumériste létal d’avant la pandémie. L’industrie touristique pousse à grand rabâchage médiatique sur les gouvernements pour qu’ils ouvrent les frontières. Bienvenue aux pollueurs et saccageurs. Les montagnes, les rivières, les lacs et le fleuve crient au secours!

«L’histoire, comme une idiote, se répète.» ~ Hugues Théorêt, historien et auteur

Une terre sans moustique

Serge Bouchard / Québec science, 14 mai 2016

Mon frère, le géologue, me disait un jour : «Tu sais, la Terre, nous lui sommes profondément indifférents, elle se passerait bien de nous. Quand nous aurons tout détruit de sa beauté, elle s’en refera une, elle sera belle une autre fois, mais serons-nous encore là pour le constater?» Les temps cosmiques et géologiques sont des temps qui nous dépassent. La beauté du monde n’est pas humaine, elle se situe hors de notre entendement; en sommes-nous si jaloux? Car il faut croire que l’humain vit sur la Terre dans le seul but de la défigurer.

J’ai une amie qui revient d’Hawaï. Ces îles volcaniques, depuis toujours isolées du reste du monde, s’étaient au fil du temps transformées en paradis des arbres et des fleurs, bougainvilliers, orchidées, hibiscus, oiseaux du paradis et des dizaines de variétés dont on ne saurait plus dire le nom. Sur ces îles et ces îlots poussait une forêt tropicale aux arbres magnifiques, dont le fameux Santal, arbre mythique, bois odorant dont les effluves portent à la méditation, invitent à la sagesse et inspirent le calme. Il n’y avait ni prédateur, ni reptile, ni moustique, ni pou, ce qui est bon pour la paix de l’esprit et le repos des vieilles âmes. Soixante-trois espèces d’oiseaux habitaient les îles, en compagnie d’une sorte de chauve-souris et du phoque moine, vieux mammifère solitaire et grognon. La tortue des mers venait pondre ses œufs sur la plage, à l’ombre des palmiers, en toute tranquillité.

Il y a près de 2 000 ans, des humains ont abordé ce paradis, c’étaient des Polynésiens de la famille des Maoris, en provenance des îles Marquises. Ils amenaient avec eux la religion des grands Tabous et du Mana, ils apportaient aussi des chiens et des cochons. Plusieurs générations occupèrent pacifiquement les îles de l’Archipel, allant de l’une à l’autre à bord de leur fameuse pirogue, le va’a. Grands navigateurs, ils connaissaient les constellations, sachant s’orienter en haute mer à la seule observation des vagues, du ciel et du vent. Ils mangeaient du porc, des poissons, de la tortue, de grosses mangues juteuses et des bananes. Les chiens étaient heureux qui n’avaient pas de puces, le temps était au beau fixe, avec beaucoup de soleil, beaucoup de pluie, de la chaleur à profusion.

Puis vinrent les bateaux européens. Les îles furent officiellement découvertes en 1778 par le capitaine Cook, qui y trouva d’ailleurs une mort tragique aux mains des indigènes. La Pérouse, Vancouver et combien d’autres vinrent mouiller dans les parages de l’archipel malencontreusement nommé Sandwich, en l’honneur du comte anglais à qui l’on doit le plat du même nom, oh! malheur toponymique! À partir de là, l’île fut déflorée, spoliée, transformée, littéralement salie. Les Anglais n’apportaient pas que des chevaux, des chèvres et des moutons; venaient avec eux les jeux de pouvoir, la hiérarchie monarchique, la syphilis, toute l’avidité, toute la violence, tous les maux du monde.

Dès 1810, Hawaï eut son roi, Kamehameha 1er, qui prit pour modèle le roi d’Angleterre. Au nom de la croissance économique, on dépouilla les îles de leur bois de santal, un nombre dramatique de fleurs disparurent en raison des brouteurs, on faillit exterminer les tortues, les phoques et les baleines à bosse. Avec l’introduction de la malaria aviaire, 23 espèces d’oiseaux s’envolèrent...

Dès 1812, le malheur était tel, en ce paradis perdu, que les Hawaïens étaient prêts à tout pour quitter leur île. On en recense même qui partirent travailler en Oregon aux côtés des Canadiens français et des Métis dans les durs métiers de la traite des fourrures – comme le rapporte le Montréalais Gabriel Franchère, en 1811, dans son journal de voyage. En un peu plus d’un siècle, Hawaï changea du tout au tout.

Aujourd’hui, la population originale des Hawaïens ne représente plus que 6 % des habitants. Cet État américain est le seul qui soit bilingue, la langue hawaïenne y étant officiellement reconnue. Toutefois, ce statut est symbolique: il reste aujourd’hui moins de 1 000 locuteurs. Malgré la démantibulation de la culture, de la nature et de l’environnement, malgré ses blessures, Hawaï demeure dans l’esprit du tourisme mondial une destination paradisiaque. Mon amie revient d’Hawaï, elle fut sensible à sa beauté, d’autres amis y vont régulièrement, les avions sont pleins, les bateaux de croisière aussi. Des vagues et du soleil, des plages et des hôtels, des fleurs rouges et du ukulélé, du surfing, du kitesurfing, du trecking, du snorkeling, du golf et des ananas, du bon café, des bonnes bananes, de l’observation de volcans, l’archipel est un point chaud dans tous les sens du terme.

Mais il suffirait d’un épisode majeur de réveil volcanique pour que tout ce qui est disparaisse et retourne en cendres. La lave effacerait les blessures. Repartirait alors la roue de la beauté, la lente roue de la beauté, qui ramènerait l’odeur du bois de santal, les oiseaux disparus et les fleurs originales auxquelles on pourrait donner de beaux noms, l’innocence en somme, une île pacifique sans moustique ni pou.

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Serge Bouchard a écrit une centaine de chroniques pour Québec Science. L'anthropologue a signé «L’esprit du lieu» de 2009 à 2017 dans laquelle il relatait les origines des noms de différents endroits en Amérique du Nord. Il a ensuite tenu la chronique «Notes de terrain», dans laquelle il livrait, jusqu'en juin 2018, ses impressions du monde.

Consultez la collection : https://www.quebecscience.qc.ca/categorie/serge-bouchard/

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