14 mai 2020

Confinements choisis ou imposés

Confinements historiques réussis ou tragiques, le destin en décide

Confiné signifie «enfermé dans un lieu». Mais il existe des confinements de toute nature.

Confinement volontaire du gardien de phare (de plus en plus rare), du spationaute dans sa fusée, du pilote dans son cockpit, du sous-marinier en immersion. Mieux vaut ne pas être claustrophobe... et avoir la vocation. Comme l’auteur ou l’artiste qui se retire pour créer, le moine qui fait retraite pour prier. Cela reste des minorités statistiques.
   Mais que penser du sort des femmes dans l’histoire – la moitié de la population mondiale!? Le féminisme dénonce leur enfermement domestique bien ou mal vécu, la soumission aux hommes en position dominante, avec la force des habitudes, le poids des religions... Le voile islamique est-il prison ou protection? Impossible d’avoir une réponse.

[Ndlr : l’auteure rapporte 24 cas historiques, du plus «léger» au plus «lourd». Elle termine en abordant le confinement des animaux en élevage industriel.]

Les oubliés de l’Histoire, les animaux confinés, victimes de l’élevage intensif

Cet édito doit tout à l’Histoire en citations – citations et commentaires. Cette source littéralement inépuisable pèche pourtant par défaut sur un sujet grave, d’autant plus actuel qu’il favorise la transmission fatale des virus entre les animaux et les hommes.
   Notre système de production économique, obsédé par le rendement, se moque de la souffrance animale. L’élevage intensif des volailles et des porcs, des bovins et de certains poissons (en aquaculture) impose un confinement contre-nature à des centaines de millions de bêtes!
   Élevage «hors-sol» totalement dissocié des cultures locales pour les porcs, ou «en batterie» pour les veaux et les volailles en cages superposées les unes sur les autres. Les vaches laitières Prim’Holstein s’entassent «en stabulation libre à logettes avec tapis (non paillés) et aire de parcours sur caillebotis». La «Ferme des mille vaches» est un contresens écologiste, déjà dépassé par les USA.
   Ces animaux «vivent» sans voir le jour et meurent confinés dans un espace vital éclairé artificiellement. Le transport et l’abattage relèvent aussi de la torture.

Reste un cas de confinement heureux, pour quelque 13 millions de chats au foyer en France. Les amoureux de cette race comprendront.

Michèle Ressi
Le site où l’Histoire donne la parole à ceux qui l’ont faite 

Photo : Collette. Certes, elle aimait les chats, mais aussi les autres animaux.  

Étouffer avec virtuosité
Colette (Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette; 1928-1954)

Confiance des bêtes, foi imméritée, quand te détourneras-tu enfin de nous? Est-ce que nous ne nous lasserons pas de décevoir, de tromper, de tourmenter la bête, avant qu'elle se lasse de s'en remettre à nous?

Notre manière d'exploiter l'animal domestique révolte le bon sens. Il n'y a pas de pardon, dit la sagesse paysanne, pour le propriétaire qui saccage son propre bien. Pourtant, on n'ose pas dire le nombre de ruraux qui, lorsque leur vache peine pour mettre bas et halète, couchée sur sa litière, prennent une trique, ferment les portes de l'étable et frappent la vache, si sauvagement et si fort, qu'elle trouve la force de se lever, d'essayer de fuir, et que son sursaut désespéré la délivre brusquement de son fruit, souvent en la blessant à mort.

Sadisme pur. IL N’EXISTE PAS DE FAÇON HUMAINE DE TORTURER ET D’ABATTRE DES ANIMAUX  

Il y aura toujours des chevreaux qui gagneront le marché, pendus par leurs tendres pieds liés, la tête en bas, aveuglés d'apoplexie. Il y aura toujours des chevaux qui, condamnés à mourir, atteindront le lieu de la délivrance par des lieues de chemin, sur trois pieds, sur des sabots sanglants et décollés, leur rein misérable chevauché par des meneurs insensibles. Toujours le lapin quittera la vie dans un cri atroce, au moment où le couteau pointu lui fait sauter l'oeil et pique sa cervelle.

Notre délicatesse de touristes civilisés s'indigne, en Afrique, de voir que le bâton affûté de l’ânier fouille la plaie vive, soigneusement entretenue, du bourricot; mais lisez donc ce mois-ci, dans une revue illustrée, la manière de capturer, de cloîtrer, de nourrir, puis d'étouffer, les ortolans! Par milliers, à peine plus gros que de gros frelons, ils pantellent d'abord dans des trappes griffées puis un grenier noir les attend, où les captifs qui ne meurent point consomment une nourriture dosée. Là, ils dépérissent d'une façon singulière, qui les transforme en boules de graisse et leurs plumes, parfois, tombent spontanément de leur peau distendue, fine comme les membranes des chauves-souris. C'est le moment – la revue l'explique en conscience – de les tuer «en leur écrasant le bec». Une photographie nous montre un bon tueur d'ortolans, ouvrier modèle, qui écrase le bec à deux oiseaux à la fois. Le travail, payé aux pièces, forme des virtuoses; celui-ci sourit d'un bon sourire de brave homme.

Aventures quotidiennes : Bêtes [1913], repris dans Colette, Bêtes libres et prisonnières, Paris, Albin Michel, 1992, p. 13-14.


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Le Canada est déjà un champion en gaspillage alimentaire. Mais la Covid-19 a entraîné de multiples problèmes dans l’industrie laitière, porcine et bovine canadienne. De sorte que des quantités incroyables de lait ont été jetées et des milliers de porcs stagnent chez les producteurs attendant d'être abattus. Entre autres à cause de la fermeture de certaines usines d’abattage et de transformation Cargill :
– High River, en Alberta, avec 360 travailleurs infectés; l'usine de High River est une installation de transformation du bœuf où 2000 employés traitent 4500 têtes de bétail par jour; l’un des deux principaux fournisseurs de bœuf McDonald’s au Canada.  
– Chambly, au Québec, avec 64 employés infectés.  
   De l’autre côté de la frontière aussi, des abattoirs ont dû fermer leurs portes. Le 12 avril, Smithfield Foods, le plus grand transformateur de porcs du monde, a annoncé la fermeture pour une durée indéterminée de son abattoir de Sioux Falls, au Dakota du Sud, en raison de nombreux cas de COVID-19 parmi ses employés.
   Ces fermetures inquiètent les producteurs de porcs qui risquent de se retrouver avec un surplus de bétail.

Illustration : «King» par Steve Cutts

Cargill : qu’est-ce que c’est?

Depuis 2008, Cargill est la plus importante société non cotée des États-Unis devant Koch Industries. Basée dans le Minnesota, à Minneapolis, avec des implantations dans le monde entier, Cargill est spécialisée dans la fourniture d'ingrédients alimentaires et dans le commodity trading (négoce de matières premières). Son chiffre d'affaires en 2014 atteignait 134,9 milliards de dollars américains.

En 2002, Cargill acquiert l'activité chocolat industriel d'OCG Cacao au Grand-Quevilly. La même année, il intègre Cerestar à Haubourdin. En 2006, Cargill acquiert les activités agro-alimentaires du Groupe Degussa. En 2011, Cargill acquiert Provimi pour 1,5 milliards d'euros.

En mars 2013, Cargill annonce le transfert de ses activités de minoterie dans une coentreprise ayant les mêmes activités, ConAgra Foods et CHS pour former Ardent Mills. En mai 2014, cette concentration est acceptée par les autorités de la concurrence américaine.

En octobre 2013, Cargill est sur le point d'acquérir les activités cacao d'ADM pour environ 2 milliards de dollars.

En mars 2014, Copersucar annonce une coentreprise avec Cargill pour créer la plus grande entreprise de commerce de sucre. En septembre 2014, Cargill acquiert les activités dans le chocolat, soit 6 usines (3 en Amérique du Nord et 3 en Europe), d'ADM pour 440 millions de dollars.

En juillet 2015, la multinationale JBS-Friboi (1) fait une offre d'acquisition de 1,85 milliards de dollars sur les activités américaines d'élevage porcin de Cargill. [En 2008, JBS avait acquis Smithfield Foods, dans le segment de la viande bovine. L'entreprise a alors été rebaptisée JBS Packerland.]

Cargill a été mise en cause pour l'impact de la déforestation en Amazonie engendré par la culture du soja.

Elle est aussi souvent citée comme un acteur majeur de la crise alimentaire mondiale, en raison de spéculations et de prises de profit massives sur les produits alimentaires de base.


(1) Tout le fonctionnement de l’agrobusiness, qu’il s’agisse de JBS au Brésil ou de Shineway en Chine, est devenu indissociable du secteur financier global. Les deux dernières décennies de mondialisation ont principalement servi à concentrer richesse et pouvoir entre les mains de Wall Street et des autres centres financiers. Aujourd’hui, les capitaines de la finance sont capables de déplacer des milliards et des milliards de dollars chaque jour et de leur faire faire le tour du monde, à la recherche du bénéfice rapide maximal. De plus en plus, cet argent envahit l’agrobusiness et la spéculation sur les produits agricoles. C’est l’accès à cette gigantesque source de capital qui alimente l’expansion de l’agrobusiness, en fournissant aux sociétés les ressources financières pour racheter des entreprises plus petites ou pour démarrer de nouvelles exploitations. Ces sociétés deviennent toujours plus dépendantes de la logique du bénéfice rapide, qui ne peut être obtenu que sur le dos des travailleurs, des consommateurs et aux dépens de l’environnement. La part de capital spéculatif des marchandises agricoles est également montée en flèche dans les dernières années et vient s’ajouter à l’emprise croissante des grandes entreprises à tous les niveaux du système alimentaire mondial. Tout ceci signifie que les prix des denrées alimentaires n’ont plus grand chose à voir avec l’offre et la demande et que la distribution est totalement déconnectée des besoins. Le système alimentaire industriel actuel est organisé selon un seul et même principe : toujours plus de profit pour les propriétaires des grandes sociétés.
   En vérité, nous n’avons pas besoin de l’agrobusiness. Les deux dernières décennies ont plutôt démontré que nous avons toutes les raisons de vouloir nous en débarrasser. Vingt ans d’intensification de la mainmise de l’agrobusiness sur le système alimentaire ont accru le problème de la faim dans le monde : 200 millions de personnes sont venues s’ajouter à celles qui souffraient déjà de la faim. L’agrobusiness a détruit des moyens de subsistance : aujourd’hui 800 millions de petits producteurs et d’ouvriers agricoles n’ont pas suffisamment à manger. Elle a été l’une des causes majeures du changement climatique et d’autres désastres environnementaux, mais elle est très mal placée pour y faire face. Elle a généré des problèmes de sécurité alimentaire sans précédent et a fait de l’agriculture l’un des secteurs de l’emploi les plus dangereux, tant pour les paysans que pour tous les travailleurs du secteur. Elle a enfin concentré la richesse créée par la production agricole entre les mains de quelques-uns : ainsi Cargill, le plus gros négociant mondial de produits agricoles a empoché près de 10 milliards de dollars US entre 2008 et 2010; les bénéfices correspondant à la période 1998-2000 avaient été d’un milliard et demi de dollars.
   C’est bien l’essor de l’agrobusiness qui est au cœur de l’histoire de l’agriculture des vingt dernières années. Si l’humanité doit survivre sur notre planète et pouvoir conserver sa dignité, les vingt prochaines années devront mettre fin au système.

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