Confinements historiques réussis ou
tragiques, le destin en décide
Confiné
signifie «enfermé dans un lieu». Mais il existe des confinements de toute
nature.
Confinement
volontaire du gardien de phare (de plus en plus rare), du spationaute dans sa
fusée, du pilote dans son cockpit, du sous-marinier en immersion. Mieux vaut ne
pas être claustrophobe... et avoir la vocation. Comme l’auteur ou l’artiste qui
se retire pour créer, le moine qui fait retraite pour prier. Cela reste des minorités
statistiques.
Mais que penser du sort des femmes dans
l’histoire – la moitié de la population mondiale!? Le féminisme dénonce leur
enfermement domestique bien ou mal vécu, la soumission aux hommes en position
dominante, avec la force des habitudes, le poids des religions... Le voile
islamique est-il prison ou protection? Impossible d’avoir une réponse.
[Ndlr :
l’auteure rapporte 24 cas historiques, du plus «léger» au plus «lourd». Elle
termine en abordant le confinement des animaux en élevage industriel.]
Les oubliés de l’Histoire, les animaux
confinés, victimes de l’élevage intensif
Cet édito
doit tout à l’Histoire en citations – citations et commentaires. Cette source
littéralement inépuisable pèche pourtant par défaut sur un sujet grave,
d’autant plus actuel qu’il favorise la transmission fatale des virus entre les
animaux et les hommes.
Notre système de production économique,
obsédé par le rendement, se moque de la souffrance animale. L’élevage intensif
des volailles et des porcs, des bovins et de certains poissons (en aquaculture)
impose un confinement contre-nature à des centaines de millions de bêtes!
Élevage «hors-sol» totalement dissocié des
cultures locales pour les porcs, ou «en batterie» pour les veaux et les
volailles en cages superposées les unes sur les autres. Les vaches laitières
Prim’Holstein s’entassent «en stabulation libre à logettes avec tapis (non
paillés) et aire de parcours sur caillebotis». La «Ferme des mille vaches» est
un contresens écologiste, déjà dépassé par les USA.
Ces animaux «vivent» sans voir le jour et
meurent confinés dans un espace vital éclairé artificiellement. Le transport et
l’abattage relèvent aussi de la torture.
Reste un cas
de confinement heureux, pour quelque 13 millions de chats au foyer en France.
Les amoureux de cette race comprendront.
Michèle Ressi
Le site où
l’Histoire donne la parole à ceux qui l’ont faite
Photo :
Collette. Certes, elle aimait les chats, mais aussi les autres animaux.
Étouffer avec virtuosité
Colette (Sidonie-Gabrielle Colette, dite
Colette; 1928-1954)
Confiance des
bêtes, foi imméritée, quand te détourneras-tu enfin de nous? Est-ce que nous ne
nous lasserons pas de décevoir, de tromper, de tourmenter la bête, avant
qu'elle se lasse de s'en remettre à nous?
Notre manière
d'exploiter l'animal domestique révolte le bon sens. Il n'y a pas de pardon,
dit la sagesse paysanne, pour le propriétaire qui saccage son propre bien.
Pourtant, on n'ose pas dire le nombre de ruraux qui, lorsque leur vache peine
pour mettre bas et halète, couchée sur sa litière, prennent une trique, ferment
les portes de l'étable et frappent la vache, si sauvagement et si fort, qu'elle
trouve la force de se lever, d'essayer de fuir, et que son sursaut désespéré la
délivre brusquement de son fruit, souvent en la blessant à mort.
Sadisme
pur. IL
N’EXISTE PAS DE FAÇON HUMAINE DE
TORTURER ET D’ABATTRE DES ANIMAUX
Il y aura
toujours des chevreaux qui gagneront le marché, pendus par leurs tendres pieds
liés, la tête en bas, aveuglés d'apoplexie. Il y aura toujours des chevaux qui,
condamnés à mourir, atteindront le lieu de la délivrance par des lieues de
chemin, sur trois pieds, sur des sabots sanglants et décollés, leur rein
misérable chevauché par des meneurs insensibles. Toujours le lapin quittera la
vie dans un cri atroce, au moment où le couteau pointu lui fait sauter l'oeil
et pique sa cervelle.
Notre
délicatesse de touristes civilisés s'indigne, en Afrique, de voir que le bâton
affûté de l’ânier fouille la plaie vive, soigneusement entretenue, du bourricot;
mais lisez donc ce mois-ci, dans une revue illustrée, la manière de capturer,
de cloîtrer, de nourrir, puis d'étouffer, les ortolans! Par milliers, à peine
plus gros que de gros frelons, ils pantellent d'abord dans des trappes griffées
puis un grenier noir les attend, où les captifs qui ne meurent point consomment
une nourriture dosée. Là, ils dépérissent d'une façon singulière, qui les
transforme en boules de graisse et leurs plumes, parfois, tombent spontanément
de leur peau distendue, fine comme les membranes des chauves-souris. C'est le
moment – la revue l'explique en conscience – de les tuer «en leur écrasant le
bec». Une photographie nous montre un bon tueur d'ortolans, ouvrier modèle, qui
écrase le bec à deux oiseaux à la fois. Le travail, payé aux pièces, forme des
virtuoses; celui-ci sourit d'un bon sourire de brave homme.
Aventures quotidiennes : Bêtes [1913], repris dans Colette, Bêtes libres et prisonnières, Paris,
Albin Michel, 1992, p. 13-14.
~~~
Le Canada est
déjà un champion en gaspillage alimentaire. Mais la Covid-19 a entraîné de multiples
problèmes dans l’industrie laitière, porcine et bovine canadienne. De sorte que
des quantités incroyables de lait ont été jetées et des milliers de porcs stagnent
chez les producteurs attendant d'être abattus. Entre autres à cause de la fermeture de certaines usines
d’abattage et de transformation Cargill :
– High River,
en Alberta, avec 360 travailleurs infectés; l'usine de High River est une
installation de transformation du bœuf où 2000 employés traitent 4500 têtes de
bétail par jour; l’un des deux principaux fournisseurs de bœuf McDonald’s au
Canada.
– Chambly, au
Québec, avec 64 employés infectés.
De l’autre côté de la frontière aussi, des
abattoirs ont dû fermer leurs portes. Le 12 avril, Smithfield Foods, le plus
grand transformateur de porcs du monde, a annoncé la fermeture pour une durée
indéterminée de son abattoir de Sioux Falls, au Dakota du Sud, en raison de
nombreux cas de COVID-19 parmi ses employés.
Ces fermetures inquiètent les producteurs de
porcs qui risquent de se retrouver avec un surplus de bétail.
Illustration : «King» par Steve Cutts
Cargill : qu’est-ce que c’est?
Depuis 2008,
Cargill est la plus importante société non cotée des États-Unis devant Koch
Industries. Basée dans le Minnesota, à Minneapolis, avec des implantations dans
le monde entier, Cargill est spécialisée dans la fourniture d'ingrédients
alimentaires et dans le commodity trading (négoce de matières premières). Son
chiffre d'affaires en 2014 atteignait 134,9 milliards de dollars américains.
En 2002,
Cargill acquiert l'activité chocolat industriel d'OCG Cacao au Grand-Quevilly.
La même année, il intègre Cerestar à Haubourdin. En 2006, Cargill acquiert les
activités agro-alimentaires du Groupe Degussa. En 2011, Cargill acquiert
Provimi pour 1,5 milliards d'euros.
En mars 2013,
Cargill annonce le transfert de ses activités de minoterie dans une
coentreprise ayant les mêmes activités, ConAgra Foods et CHS pour former Ardent
Mills. En mai 2014, cette concentration est acceptée par les autorités de la
concurrence américaine.
En octobre
2013, Cargill est sur le point d'acquérir les activités cacao d'ADM pour
environ 2 milliards de dollars.
En mars 2014,
Copersucar annonce une coentreprise avec Cargill pour créer la plus grande
entreprise de commerce de sucre. En septembre 2014, Cargill acquiert les
activités dans le chocolat, soit 6 usines (3 en Amérique du Nord et 3 en
Europe), d'ADM pour 440 millions de dollars.
En juillet
2015, la multinationale JBS-Friboi (1) fait une offre d'acquisition de 1,85
milliards de dollars sur les activités américaines d'élevage porcin de Cargill.
[En 2008, JBS avait acquis Smithfield Foods, dans le segment de la viande
bovine. L'entreprise a alors été rebaptisée JBS Packerland.]
Cargill a été
mise en cause pour l'impact de la déforestation en Amazonie engendré par la
culture du soja.
Elle est
aussi souvent citée comme un acteur majeur de la crise alimentaire mondiale, en
raison de spéculations et de prises de profit massives sur les produits
alimentaires de base.
(1) Tout le
fonctionnement de l’agrobusiness, qu’il s’agisse de JBS au Brésil ou de Shineway
en Chine, est devenu indissociable du secteur financier global. Les deux
dernières décennies de mondialisation ont principalement servi à concentrer
richesse et pouvoir entre les mains de Wall Street et des autres centres
financiers. Aujourd’hui, les capitaines de la finance sont capables de déplacer
des milliards et des milliards de dollars chaque jour et de leur faire faire le
tour du monde, à la recherche du bénéfice rapide maximal. De plus en plus, cet
argent envahit l’agrobusiness et la spéculation sur les produits agricoles.
C’est l’accès à cette gigantesque source de capital qui alimente l’expansion de
l’agrobusiness, en fournissant aux sociétés les ressources financières pour
racheter des entreprises plus petites ou pour démarrer de nouvelles
exploitations. Ces sociétés deviennent toujours plus dépendantes de la logique
du bénéfice rapide, qui ne peut être obtenu que sur le dos des travailleurs,
des consommateurs et aux dépens de l’environnement. La part de capital
spéculatif des marchandises agricoles est également montée en flèche dans les
dernières années et vient s’ajouter à l’emprise croissante des grandes
entreprises à tous les niveaux du système alimentaire mondial. Tout ceci
signifie que les prix des denrées alimentaires n’ont plus grand chose à voir
avec l’offre et la demande et que la distribution est totalement déconnectée
des besoins. Le système alimentaire industriel actuel est organisé selon un
seul et même principe : toujours plus de profit pour les propriétaires des
grandes sociétés.
En vérité, nous n’avons pas besoin de
l’agrobusiness. Les deux dernières décennies ont plutôt démontré que nous avons
toutes les raisons de vouloir nous en débarrasser. Vingt ans d’intensification
de la mainmise de l’agrobusiness sur le système alimentaire ont accru le
problème de la faim dans le monde : 200 millions de personnes sont venues
s’ajouter à celles qui souffraient déjà de la faim. L’agrobusiness a détruit des
moyens de subsistance : aujourd’hui 800 millions de petits producteurs et
d’ouvriers agricoles n’ont pas suffisamment à manger. Elle a été l’une des
causes majeures du changement climatique et d’autres désastres
environnementaux, mais elle est très mal placée pour y faire face. Elle a
généré des problèmes de sécurité alimentaire sans précédent et a fait de
l’agriculture l’un des secteurs de l’emploi les plus dangereux, tant pour les
paysans que pour tous les travailleurs du secteur. Elle a enfin concentré la
richesse créée par la production agricole entre les mains de quelques-uns :
ainsi Cargill, le plus gros négociant mondial de produits agricoles a empoché
près de 10 milliards de dollars US entre 2008 et 2010; les bénéfices
correspondant à la période 1998-2000 avaient été d’un milliard et demi de
dollars.
C’est
bien l’essor de l’agrobusiness qui est au cœur de l’histoire de l’agriculture
des vingt dernières années. Si l’humanité doit survivre sur notre planète et
pouvoir conserver sa dignité, les vingt prochaines années devront mettre fin au
système.
Source :