14 juin 2019

Arrivistes, à vos marques!

Des fois, on se demande si les arrivistes finissent par arriver...

Lettre de Léo Ferré à l’arriviste

«Vous marchez droit, certes, mais j’ai le regret de vous assurer que vous rampez.»

Léo Ferré (24 août 1916 – 14 juillet 1993), fut l’un de ces auteurs-compositeurs dont la puissance des textes continue de faire de lui un véritable symbole. L’auteur a toujours eu un avis bien mitigé face à l’épistolaire. Les lettres qu’il reçut au cours de sa vie furent soit les seules « capables de [le] réconcilier avec les autres», ou le signe que «les gens bien sont ceux qui ne [lui] écrivent pas». Bien loin de cet amour haine, l’auteur d’Avec le temps s’est plu à écrire de longues lettres dont la justesse et la prose n’appartiennent qu’à lui.  

Mon cher, les complexes c’est bien, ça s’explique, c’est un peu les fourriers du psychiatre, mais celui dont vous êtes nanti, me paraît très très gros. Vous avez le complexe que je me permets d’appeler d’une façon un peu confuse, le complexe de la SNCF, vous voulez prendre tous les trains à la fois. Vous êtes ce qu’on appelle un arriviste.

Pardonnez-moi de vous dire les choses brutalement mais oui, vous voulez tout prendre, enfin prendre ce qui risque de vous conduire quelque part, c’est pour cela que je vais vous étudiez quand j’en ai le loisir, à la gare de Lyon...  

Vous faites tout ce qu’il faut sauf ce qui me paraît être essentiel pour un «homme» : la méditation, si vous avez assez de vocabulaire intime et l’humilité...  

Vous arriverez, j’en suis sûr, vous arriverez... je le vois déjà à la courbure de votre échine. Vous marchez droit, certes, très droit, mais j’ai le regret de vous assurer que vous rampez, en dedans, vous êtes un reptile...

Quand vous serez arrivé, faites-moi signe... Je vous donnerai le moyen d’arriver encore : c’est ce que j’appelle l’arrivé arriviste. Ça existe et comme vous êtes parti je ne vous vois pas déganté de sitôt...  

(Lettres non postées, La mémoire et la mer)

Lettre d’Anton Tchekhov à son collègue Plechtchéev

«Je hais le mensonge et la violence sous toutes ses formes»

Médecin et écrivain de talent, Anton Tchekhov (1860-1904) est certainement l’auteur le plus connu de la littérature russe. Avec des œuvres dramatiques qui déchirent le voile des illusions, il interroge la condition humaine dans ce qu’elle a de plus absurde et vain. Mais comme en témoigne cette lettre, le «chantre de la désespérance» qu’était Tchekhov gardait malgré tout une foi indéfectible en l’amour et la liberté.

Le 4 octobre 1888

Je voudrais être un artiste libre [...]. Je hais le mensonge et la violence sous toutes ses formes et je trouve également répugnants les secrétaires du consistoire. [...] Le pharisaïsme, la stupidité et l’arbitraire ne règnent pas seulement dans la demeure des marchands et dans les mitards, je les vois dans la science, la littérature, parmi la jeunesse...

C’est pourquoi je n’ai de penchant particulier ni pour les gendarmes, ni pour les bouchers, ni pour les savants, ni pour les écrivains, ni pour les jeunes. Je tiens les étiquettes et les marques de fabriques pour des préjugés. Mon saint des saints, c’est le corps humain, la santé, l’intelligence, le talent, l’inspiration, l’amour et la liberté la plus absolue, la liberté vis-à-vis de la force et du mensonge, où qu’ils se manifestent.

(Roch Côté, Anton Tchekhov, Une vie illustrée, Fides 2005)

Source https://www.deslettres.fr/        

En complément : une satire caustique de l’arrivisme. (Ajouté à ma liste de lecture d'été) 

Corinne Maier *  
Petit Manuel du parfait arriviste
Flammarion; paru le 03/10/2012
Hors collection - Documents, témoignages et essais d’actualité


Résumé

Aviez-vous remarqué que nous vivons dans un monde d’enfumage, où prospèrent faussaires en tout genre, sérial-menteurs, professionnels de la contre-vérité et du double langage? Si vous voulez réussir, il est impératif de vous y mettre : bobards, fables, feintes, impostures, inventions et faux-semblants, sont la véritable monnaie (de singe) que vous aussi devez utiliser. Mais être un parfait arriviste ne s’improvise pas. Habiller la réalité, servir boniments et professions de foi, se vendre sans arrière-pensées et l’emporter dans le bras de fer qui vous oppose aux autres, est un art, auquel ce manuel entend vous initier. Il vous donnera toutes les recettes pour tirer votre épingle du jeu, et ce du bureau open space au fauteuil de P-DG, de la salle de bains à la chambre à coucher. Ces 40 leçons de savoir-mentir signent l’extension salutaire du domaine de l’hypocrisie. Cette vertu cardinale du XXIe siècle, jusque-là réservée à une élite maîtrisant les codes, n’aura bientôt plus de secret pour vous. Cessez d’être celui qu’on n’a pas mis au courant, le naïf qui se fait avoir, l’éternel perdant. Devenez celui qui manipule les autres et les événements. Un faux-cul? Non, un winner réaliste et efficace. Adieu pigeon, bonjour succès.

Vous pouvez lire l’introduction (très drôle) :

Critique sur Babelio :

L'auteur du best-seller «Bonjours paresse» nous a pondu de nombreuses oeuvres de qualité au fil des ans. ... Maier nous a démontré sa capacité à écrire des livres courageux et osés, mettant toujours le doigt là où ça fait mal. ...
   Au fil des pages on en vient à retrouver cette Maier qu'on aime : acide, sans pitié, un humour au vitriol et des attaques dans toutes les directions. Démocratie, famille, couple, «séniors» (terme policé pour désigner, une fois de plus, les vieux qui nous lèguent une société en miette mais qui auront le culot de nous faire la morale, sans pour autant avoir la décence de crever), marché de l'emploi, tout y passe. C'est bien, c'est beau mais ce n'est pas Bosch (encore que posséder un appareil de cette marque est très certainement une marque de réussite sociale pour de nombreuses personnes).
   Finalement plutôt que de traiter un thème nouveau, Corinne Maier nous livre ici une synthèse de sa pensée et de tout ce qu'elle aura pu écrire par le passé. Lorsque l'on subit au jour le jour la médiocrité d'autrui, les privations due à une minorité qui possède tout ainsi que les frasques d'une «humanité rendue folle par cette recherche effrénée de l'égalisation totale, par ce désir de supprimer toutes les aspérités» (pour reprendre les mots de Dantec); il est bon de lire ces lignes et d'entendre la parole de quelqu'un qui met les pieds dans le plat.
   Si on pourra reprocher à ce livre d'être moins documenté que les précédents (ici Corinne Maier cite beaucoup moins ses sources) ou que l'auteur ne fait que survoler certains sujets, il n'en demeure pas moins que cela fera une lecture agréable pour les fans du genre. Et une piqure de rappel pour beaucoup de nos «con-citoyens».  

* Corinne Maier est diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris, formation complétée par deux diplômes de troisième cycle de Relations internationales et d'Économie, et par une thèse soutenue à l'université Paris VIII en «Psychanalyse et champ freudien».
   Elle est l'auteur de livres fortement inspirés par Jacques Lacan, Roland Barthes et Michel Foucault, ouvrant une initiation à la fois humoristique et critique sur ce monde singulier qui est le nôtre.
   Elle est surnommée «héroïne de la contre-culture» par le New York Times depuis le succès mondial de l'un de ses ouvrages, Bonjour Paresse.
   Psychanalyste à Bruxelles et à Paris (membre d'ALEPH, Association pour l'Étude de la Psychanalyse et de son histoire), et essayiste.
   Elle a écrit une quinzaine d’ouvrages, en mélangeant les approches : commentaire littéraire, économie, histoire, sociologie, psychanalyse, fiction… Traduits dans de nombreuses langues.

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