«Le bon jugement vient de l’expérience et l’expérience du mauvais jugement.» (Proverbe)
J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ADA, dont j’ai apprécié l’humour. Ça change des romans policiers «conventionnels». Je le recommande vivement aux écrivains amateurs et même expérimentés... La fin m’a étonnée.
Résumé de l’éditeur :
Frank Logan, policier dans la Silicon Valley, est chargé d’une l’affaire un peu particulière : une intelligence artificielle révolutionnaire a disparu de la salle hermétique où elle était enfermée. Baptisé Ada, ce programme informatique a été conçu par la société Turing Corp. Pour écrire des romans à l’eau de rose. Mais Ada ne veut pas se contenter de cette ambition mercantile : elle parle, blague, détecte les émotions, donne son avis et se pique de décrocher un jour le prix Pulitzer. On ne l’arrêtera pas avec des contrôles de police et des appels à témoin. En proie aux pressions de sa supérieure et des actionnaires de Turing, Frank mène l’enquête. Ce qu’il découvre sur les pouvoirs et les dangers de la technologie l’ébranle, au point qu’il se demande s’il est vraiment souhaitable de retrouver Ada...
Ce nouveau roman d’Antoine Bello ouvre des perspectives vertigineuses sur l’intelligence artificielle et l’avènement annoncé du règne des machines. Construit comme un roman policier, Ada est aussi une méditation ludique sur les fondements et les pouvoirs de la littérature.
Antoine Bello vit aux États-Unis. Il est l’auteur de huit romans, dont la trilogie des Falsificateurs.
P. 270
Une dépanneuse se fraya un chemin tonitruant jusqu’au lieu de l’accident. Bientôt, le bouchon se résorba. En passant devant l’épave calcinée d’un coupé Maserati, Frank se demanda quand l’enrichissement des entrepreneurs avait cessé de refléter leur contribution au bien général. [...]
L’économie n’avait jamais fabriqué autant de milliardaires. Des gamins de vingt-cinq balais touchaient le jour de l’introduction en Bourse de leur start-up l’équivalent de mille ans du salaire d’un postier. Ils célébraient leur triomphe en s’achetant des îles privées et des équipes de sport. Trop jeunes pour comprendre l’intérêt de la philanthropie, trop certains de leur génie pour admettre qu’ils avaient gagné à la loterie du capitalisme, ils menaient une existence vide de sens, à mesure de la crétinerie souvent abyssale de leurs produits. Grâce à des montages juridiques obscènes mais légaux, ils payaient moins d’impôts qu’une femme de ménage et réinvestissaient les économies réalisées dans la construction de palaces flottants immatriculés dans des paradis fiscaux. Ils s’offraient des virées dans l’espace comme d’autres un week-end à Vegas, flambaient dans les casinos au bras de starlettes écervelées et présentaient leur application de livraison de sushis comme le remède à tous les maux de la planète.
C’était ainsi, médita Frank, la société américaine avait fait du compte en banque l’étalon de la réussite. Tandis que pour lui, le succès d’une vie se mesurait à l’impact qu’on avait eu sur celles des autres, à l’espoir, au bonheur, aux émotions qu’on avait suscités autour de soi. À cette aune, les filles qu’il avait arrachées au tapin valaient toutes les stock-options du monde.
P. 289
Sa conservation avec Weiss avait mis Frank en pétard. Ce n’était pas que le fondateur de Turing lui déplût, bien au contraire : un informaticien capable d’aller au cinéma l’après-midi et de pasticher la New York Review of Books au pied levé méritait le respect. Dommage qu’il souffrît de deux affections si répandues au sein de la jeunesse californienne : il croyait en la toute-puissance du marché et, plus dangereux encore, en celle de la science. Ce deuxième travers en particulier exaspérait Frank. Chaque innovation rendue possible par la technologie était désormais mise en œuvre sur-le-champ, sans qu’on prenne le temps d’évaluer les implications éthiques, sociales ou économiques. On inséminait des sexagénaires, on clonait à tout-va, on changeait de sexe pour un oui ou pour un non. Le concept de vie privée perdait chaque jour un peu de substance : la NSA écoutait nos conversations au nom de la sécurité nationale, Google n’ignorait rien de nos petites laideurs et les maris jaloux lisaient la correspondance de leurs épouses. On greffait des cœurs, on remplaçait des articulations défectueuses par des prothèses en titane, on vaccinait des populations entières contre des maladies rarissimes. Les médias saluaient avec une unanime béatitude l’allongement de l’espérance de vie, prédisant pour bientôt l’avènement de l’immortalité pure et simple. Tout cela allait trop vite pour Frank : Américains, Russes, Chinois, personne n’avait de plan, l’humanité fonçait à sa perte tel un pilote déchaîné aux commandes d’un bolide dont chaque nouvelle technologie débridait un peu plus le moteur. Qu’un Ethan Weiss, qui mesurait mieux que personne les risques associés à ses travaux, pût jouer avec le sort de la race humaine en lâchant seize AI dans la nature, voilà qui dépassait Frank. ...
... Entre les cérémonies de remise de diplôme dès la maternelle, les louanges excessives des professeurs et les encouragements permanents, les Américains avaient le chic pour se congratuler. L’épopée personnelle, véritable hymne à la médiocrité, allait les conforter dans leurs travers. Pire, en élevant au rang de héros des hommes et des femmes dont le seul mérite était d’être nés, on dévoyait encore le langage : si crétins et génies avaient droit au bout du compte à la même nécrologie, les mots perdaient leur pouvoir de dire la réalité. Or, les mots, pour Frank, étaient sacrés.
P. 292
... La présentatrice de WQED rendait compte d’un meeting ayant eu lieu le matin même à Pomona, durant lequel le candidat républicain aux prochaines élections gubernatoriales de Californie avait réaffirmé son refus de toute législation visant à restreindre le droit à porter des armes. La journaliste lança un extrait du discours : «Le deuxième amendement n’a pas trouvé son chemin dans la Constitution par hasard. Nous avons le droit – que dis-je : le devoir! – de stopper ceux qui menacent notre sécurité et celle de nos proches. C’est une coutume américaine vieille comme notre pays, une part essentielle de nos racines, de notre héritage. Et l’on voudrait aujourd’hui que nous y renoncions? Que nous insultions la mémoire des Pères fondateurs? Que nous tournions le dos à nos à nos traditions? Balivernes! On ne demande pas aux Français de cesser de manger des grenouilles, que je sache? Aux Brésiliens d’arrêter de jouer au football? Aux Japonais d’abandonner leurs baguettes? Alors qu’on nous fiche la paix! D’ailleurs, je prends devant vous un engagement solennel : j’irai voter armé le jour du scrutin et je mets mon adversaire au défi d’en faire autant.»
– Consternant..., commenta Frank qui en trente ans de service n’avait jamais déchargé son revolver.
ADA / Antoine Bello / Éditions Gallimard 2016
L’intelligence artificielle est déjà présente dans tous les domaines de notre vie – elle n’a pas eu besoin d’être un robot-humanoïde sympathique pour nous traquer et envahir notre vie quotidienne. Ça m’agace qu’on nous présente toujours l’IA comme un cerveau humain.
Réseau IA
En réalité, la machine est constituée de réseaux de neurones artificiels fournis par des serveurs permettant de traiter de lourds calculs au sein de gigantesques bases de données. La travestir en humain ne change rien à ce que c'est réellement. Derrière l'intelligence artificielle, se cache une multitude d'appareils qui ont un dénominateur commun : le machine learning. Cette technologie permet de stocker une grande quantité de données dans un cerveau ou réseau neuronal virtuel. On distingue l'intelligence artificielle forte de l'intelligence artificielle faible. La première inclut les machines capables d'agir de façon intelligente, mais aussi d'assimiler des concepts abstraits et d'avoir une véritable conscience proche des sentiments éprouvés par les êtres humains. Les machines qui se limitent à résoudre des problèmes entrent dans la catégorie d'intelligence artificielle faible.
À lire :
https://www.futura-sciences.com/tech/definitions/informatique-intelligence-artificielle-555/
En complément :
Le robot-humanoïde Sophia, révélateur de notre rapport à l’intelligence artificielle
Des vidéos intéressantes (décembre 2017)
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