25 mars 2015

L'avril boréal

Photo : Junco ardoisé, site ‘Dans notre maison’.
Ça fait une éternité que je n’ai pas vu de Junco – j’espère qu’il y en a encore...! 

L’avril boréal
Nérée Beauchemin (1850-1931) *

Est-ce l’avril? Sur la colline
Rossignole une voix câline,
    De l’aube au soir.
Est-ce le chant de la linotte?
Est-ce une flûte? est-ce la note
    Du merle noir?

Malgré la bruine et la grêle,
Le virtuose à la voix frêle
    Chante toujours;
Sur mille tons il recommence
La mélancolique romance
    De ses amours.

Le chanteur, retour des Floride,
Du clair azur des ciels torrides
    Se souvenant,
Dans les bras des hêtres en larmes
Dis ses regrets et ses alarmes
    À tout venant.

Surpris dans son vol par la neige,
Il redoute encor le cortège
    Des noirs autans;
Et sa vocalise touchante
Soupire et jase, pleure et chante
    En même temps.

Fuyez, nuages, giboulées,
Grêle, brouillards, âpres gelées,
    Vent boréal!
Fuyez! La nature t’implore.
Tardive et languissante aurore
    De floréal.

Avec un ciel bleu d’améthyste.
Avec le charme vague et triste
    Des bois déserts,
Un rythme nouveau s’harmonise.
Doux rossignol, ta plainte exquise
    Charme les airs!

Parfois, de sa voix la plus claire,
L’oiseau, dont le chant s’accélère,
    Égrène un tril :
Dans ce vif éclat d’allégresse,
C’est vous qu’il rappelle et qu’il presse,
    Beaux jours d’avril.

Déjà collines et vallées
Ont vu se fondre aux ensoleillées
    Neiges et glaçons;
Et, quand midi flambe, il s’élève
Des senteurs de gomme et de sève
    Dans les buissons.

Quel souffle a mis ces teintes douces
Aux pointes des frileuses pousses?
    Quel sylphe peint
De ce charmant vert véronèse
Les jeunes bourgeons du mélèze
    Et du sapin?

Sous les haleines réchauffées
Qui nous apportent ces bouffées
    D’air moite et doux,
Il nous semble que tout renaisse.
On sent comme un flot de jeunesse
    Couler en nous.

Tout était mort dans les futaies;
Voici, tout à coup, plein les haies,
    Plein les sillons,
Du soleil, des oiseaux, des brises,
Plein le ciel, plein les forêts grises,
    Plein les vallons.

Ce n’est plus une voie timide
Qui prélude dans l’air humide,
    Sous les taillis;
C’est une aubade universelle;
On dirait que l’azur ruisselle
    De gazouillis.

Devant ce renouveau des choses,
Je rêve des idylles roses;
    Je vous revois,
Prime saison, belles années,
De fleurs de rêves couronnées,
    Comme autrefois.

Et, tandis que dans les clairières
Chuchotent les voix printanières,
     Et moi j’entends
Rossignoler l’âme meurtrie,
La tant douce voix attendrie
    De mes printemps.

Les floraisons matutinales

(Selon l’édition 1997, Victor Ayotte éditeur, Trois-Rivières, Québec)
Via : La Bibliothèque électronique du Québec
Collection Littérature québécoise

* Associé aux «poètes du Terroir», Nérée Beauchemin a passé sa vie à Yamachiche où il était médecin de campagne. Il a publié (de son vivant) deux recueils de poésie : Les floraisons matutinales (en 1987)  et Patrie intime (en 1928). 

Aucun commentaire:

Publier un commentaire