31 octobre 2014

Ancrage dans le centre vital

Posture zazen. Les mains reposent sur les cuisses, au niveau du nombril, où se trouve le ‘kikaï tanden’ (océan d'énergie), connu aussi sous le nom ‘hara’. Mudra : main gauche posée sur la droite, paumes vers le haut, pouces joints.

Juste poser les mains sur le Hara (en se concentrant sur l'énergie et sans faire zazen), peut avoir des effets apaisant quand on se sent déstabilisé, énervé ou craintif, seul ou en public (lieu de travail, restaurants, transports publics, etc.). La capacité de maîtrise du stress augmente avec la pratique régulière, comme en toutes choses.

Selon la tradition orientale, le «Hara» est le collecteur d’énergie vitale. Ce serait aussi un pont entre le physique et le subtil ayant le pouvoir de nous déconnecter du «moi égocentrique» pour nous connecter à l’être essentiel. L’ancrage dans le Hara, exercé à chaque moment, peut faire du quotidien une pratique de la voie intérieure et de la maîtrise de la vie. Ce que nombre d’adeptes des arts martiaux pourraient valider; et, il n’est pas nécessaire de devenir un Bruce Lee. Qui plus est, je peux affirmer (pour ce que ça vaut) que ce n'est pas du "guru stuff" destiné à manipuler les gens, mais plutôt une façon efficace de ne pas se laisser manipuler. Voilà, nous sommes des tables de résonance (ou de raisonance?) et il nous appartient de choisir par qui/quoi nous souhaitons être influencés.

HARA Centre vital de l’homme
Karlfried Graf Dürckheim
Le courrier du livre; 1974

Extraits du chapitre V – L’HOMME QUI POSSÈDE LE HARA

1. Le Hara, force existentielle (extrait, p. 179)

Du début à la fin de sa vie, l’homme est préoccupé de sa permanence en ce monde. Il veut se maintenir et se préserver, et cela se traduit par un constant souci de sécurité et de stabilité. Il doit pouvoir aussi bien s’affirmer, s’imposer, que se défendre. S’il a perdu le contact avec l’Être supranaturel incarné en son être essentiel, ou s’il ne l’a pas encore retrouvé, il lui faut compter uniquement sur le monde dans lequel il vit et sur les facultés dont le Moi dispose pour maîtriser la vie. (...) 
       Il n’y a pas de malade dont la guérison ne soit compliquée par des crispations, des tensions intérieures, ni de rétablissement qui ne soit hâté par la disparition de ces tensions. C’est précisément dans la mesure où ces tensions sont liées à un Moi anxieux, toujours sur ses gardes, ou encore à un Moi opiniâtre qu’elles sont susceptibles de s’effacer lorsque l’homme a appris à rassembler ses forces dans le bassin, c’est-à-dire dans l’espace où se fait l’enracinement dans le Hara.

2. Dimensions nouvelles (extrait, p. 188 --)

C’est dans la mesure où le Hara libère l’homme du souci vaniteux ou de l’inquiétude de conserver son Moi qu’il pourra disposer pleinement de ses forces réelles. L’action des forces, qui viennent du centre, correspond à une action de la personne tout entière et fait ses preuves dans toutes les situations et dans tous les domaines. Qu’il s’agisse d’une performance sportive, d’une tâche intellectuelle, d’un travail ou encore d’une création artistique, la chose est accomplie sans heurt, d’une façon sûre et précise.  Ce calme qui envahit la personne dès qu’elle fait confiance à son centre permet à l’homme de jouir de tous ses moyens afin de répondre à une situation donnée. Le Hara le rend stable, clairvoyant, précis et efficace dans toute action. Celui qui a le Hara peut difficilement être renversé et soulevé. Grâce au Hara, il est capable d’accepter chaque situation telle qu’elle est, sans nécessairement devoir l’approuver, mais sans la rejeter non plus. Le Hara lui permet de prendre avec calme ce dont le Moi se serait automatiquement défendu, et même de le supporter, lorsque cela est nécessaire. Celui qui a le Hara peut endurer des souffrances physiques qui seraient sinon intolérables; les offenses n’ont pas  de prises sur lui, les réactions impulsives sont facilement évitées, mais, lorsqu’il le faut, il sait réagir, sans écouter son Moi peureux. La fausse sensibilité, même à l’égard des autres, disparaît. L’homme acquiert une force intérieure grâce à laquelle il peut affronter sans peur même les dangers. Le Hara semble le doter d’une cuirasse protectrice contre laquelle vient rebondir ce qui l’atteint facilement lorsque, au lieu d’être ancré avec calme et «en forme» dans son centre, il se crispe dans la position de défense caractéristique du Moi égocentrique ou, au contraire, s’avachit. Tant que l’homme est enraciné dans le Hara, il supporte le froid et la chaleur; il ne contracte ni refroidissement ni maladies contagieuses. Celui qui a le Hara peut également traverser des situations dangereuses sans en être dérangé. 
       S’il est ancré solidement dans le Hara, l’homme peut même supporter la pensée d’un anéantissement imminent sans être assailli d’une angoisse qui lui enlève toutes ses forces. On dirait qu’il est en contact, voire qu’il ne fait qu’un, avec une réalité que rien ne saurait toucher et qui le remet solidement sur ses pieds dès qu’il est attaqué ou même abattu. Faut-il en fait s’étonner qu’il acquière une assurance nouvelle vis-à-vis du monde et, par suite, une confiance nouvelle en ce dernier lorsque cette force à la source profonde le porte – force qui, du reste, se révèle d’autant plus fidèle qu’il s’y abandonne avec confiance, mais qui se retire dès qu’il s’en méfie. 
       L’expérience de cette force mystérieuse n’est pas seulement un moyen de mieux vivre en ce monde, elle procure une chose beaucoup importante : l’expérience d’une «dimension» située au-delà de l’horizon naturel. Mais il faut en prendre conscience. 
       À mesure que l’homme s’enracine dans le Hara, il sent naître en lui une force qui n’est pas celle que l’on a, mais celle sur laquelle tout notre être repose, celle que l’on est manifestement au fond de son être. L’homme prend, grâce à elle, conscience de sa participation à l’Être dont il fait partie intégrante dans un sens profond et envers lequel il est engagé davantage qu’envers le monde. Non seulement le Hara libère cette force venant de l’Être, qui fait disparaître la peur et donne la confiance, mais il ouvre aussi l’homme à une autre lumière et à la perception d’un sens profond. 
       Sans Hara, l’homme est prisonnier du Moi égocentrique. Tout ce que le Moi ne comprend pas lui paraît absurde. Or celui qui ne voit le monde que sous l’angle du Moi court le risque d’être sans cesse contrarié ou encore de tomber dans le désespoir devant l’absurdité et l’injustice qui règnent sur terre. Plus l’enracinement dans le Hara est solide, plus la vision que le Moi a du monde s’élargit. Une colère ou un désespoir qui menacent incitent alors à s’ancrer encore plus dans le centre et sont une occasion de s’ouvrir à une réalité révélatrice d’un sens qui est au-delà du sens et du non-sens. (...) Le Hara fait jaillir une lumière qui éclaire la vie tout entière ... (...) Or, cette lumière – tout comme la force intérieure – n’est conférée à l’homme que s’il s’adonne à la pratique du Hara. L’expérience de cette force et de cette lumière va de pair avec un élargissement du Soi. 
       Le Soi dont l’homme prend alors conscience n’est manifestement plus le Moi qu’il était auparavant, mais un Soi élargi qui se développe à mesure que se fait l’intégration du Moi existentiel dans l’être essentiel. L’homme perçoit alors une nouvelle dimension intérieure, il a le sentiment d’augmenter de volume, comme s’il avait fait éclater les limites étroites de son corps. Il a la sensation que cet illimité lui appartient en propre. Il fait l’expérience d’un élargissement de sa personne et en ressent l’effet libérateur. Il s’agit d’un élargissement dans lequel on ne se perd pas, qui permet au contraire, de trouver son véritable centre. On se trouve dans un espace nouveau sans limites précises. On dispose alors d’un nouvel espace respiratoire, d’un nouveau champ visuel, d’une nouvelle marge de liberté et d’un nouveau champ d’action. On découvre soudain avec étonnement et le cœur plein de reconnaissance combien, sans le Hara, on vivait dans un espace réduit, enserré qu’on était dans une enveloppe isolante barrant la voie tant à la force intérieure qu’à la lumière montant du fond de l’être. L’homme qui n’a pas le Hara dispose autour de lui et en lui d’un très petit espace; il lui manque aussi le rayonnement. 
       Pour celui qui est enfermé dans l’espace correspondant au Moi égocentrique, le monde et la vie n’ont pas d’ampleur. La personne n’a conscience que de ce qui se trouve sous forme concrète devant ses yeux ou du sentiment personnel qui l’occupe dans l’instant. Mais dès qu’elle a trouvé le centre qui donne accès à la transcendance, tout devient transparent. Le regard intérieur ne se laisse pas limiter, même dans les cas où le particulier qui sollicite sur le moment l’attention du Moi constitue une sorte de barrière pour le regard ouvert seulement sur le monde. (...) 
       Celui qui acquiert le Hara voit, de ce fait, s’établir un nouveau rapport entre lui et le monde, rapport caractérisé à la fois par une indépendance vis-à-vis du monde et par un libre attachement à ce dernier. Il peut s’unir au monde spontanément et sans peur parce qu’il a pris conscience qu’il était porté par un fond plus large. Il est alors en mesure de saisir le monde et de se laisser saisir par celui-ci, car il s’y sent déjà rattaché dans le fond de son être. Et s’il le faut, il est également capable de se détacher de tout ce qui constitue le monde parce que son nouveau Soi n’est plus accroché à ce dernier, contrairement au Moi égocentrique. L’homme qui n’a pas de Hara est dépendant du monde, car il lui manque le véritable contact, alors que l’homme ancré dans le Hara, n’étant pas dépendant du monde, reste en contact avec ce dernier. (...) L’homme ne se sent pas accepté ou renié selon les circonstances, mais porté, enveloppé avec amour par la vie tout entière. Il est empreint de l’unité de l’Être, du Grand Un au sein duquel les oppositions disparaissent, et il a accès, de ce fait, à une forme d’amour qui n’est ni égocentrique, possessive ni fixatrice, mais constitue un véritable abri et la rencontre, à travers l’union, d’éléments isolés. 
       (...) Il [l’homme] dispose d’une clairvoyance qui est au-delà de la connaissance du sens et du non-sens, et il connaît un amour qui est au-delà de l’amour et la haine propres à ce monde. La nouvelle dimension que le Hara lui ouvre est également au-delà de l’opposition qui existe pour le Moi entre l’ampleur et l’étroitesse. (...) 
       ... Le Hara lui donne accès au bonheur et aux bienfaits d’un amour pour ainsi dire cosmique, qui est impersonnel, différent de l’amour ressenti par une personne à l’égard d’une autre personne. 
       Cette expérience d’une forme d’amour à la fois génératrice de force, pleine de sens et non égocentrique, que le Hara permet de vivre et dont nous venons de parler, le débutant ne la vivra que sous la forme d’une grâce passagère. Sa réalité, le pouvoir régénérateur de la vie et l’action transformatrice du Hara sur l’homme, il ne les connaîtra que s’il s’exerce régulièrement, fidèlement, à la pratique de la Voie. 
       Celui qui entend parler du Hara pour la première fois ne peut manquer de se montrer sceptique à l’égard des innombrables effets positifs que ce dernier est censé avoir. Il ne pourra s’ouvrir à la vérité dont nous venons de parler et s’engager lui-même sur la voie de la pratique que s’il comprend que l’enracinement dans le centre – ou dans le Hara – signifie que la personne tout entière s’est libérée (et c’est une libération qui n’est pas seulement intérieure) de tout ce qui le sépare de la transcendance et des forces supranaturelles, notamment de son ennemi principal, le Moi à l’esprit autonome.

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